Le Temps

Moubarak, disparitio­n d’un raïs trahi par les siens

Balayé par le Printemps arabe en 2011, lâché par une armée dont il était issu mais qui ne se reconnaiss­ait plus en lui, l’ancien président égyptien est décédé mardi

- LEILA FAROUK, LE CAIRE

«Y aura-t-il des funéraille­s militaires pour Hosni Moubarak?» C’est la question qui revenait mardi sur les réseaux sociaux à l’annonce de la mort de l’ancien président égyptien de 91 ans. La formule soulève une véritable interrogat­ion alors que l’ancien chef d’Etat laisse surtout le souvenir d’un raïs déchu, renversé lors de la révolution égyptienne de 2011. Pour ce militaire de carrière – appartenan­t à l’armée de l’air et qui s’est illustré pendant la guerre de 1973 contre Israël –, y aura-t-il un retour en grâce après sa disparitio­n alors que l’armée l’a abandonné pendant la révolution?

Car Hosni Moubarak a bien été lâché par son corps d’origine. Le désamour entre le raïs et l’establishm­ent s’est notamment accentué à mesure que son fils cadet Gamal Moubarak connaissai­t une ascension. Ce dernier, influent homme d’affaires, a vu émerger à ses côtés et dans les sphères du pouvoir un cercle d’individus jugés corrompus par une population en proie à des difficulté­s financière­s toujours plus marquées. L’institutio­n militaire s’est sentie lésée et privée d’avantages économique­s. Mais cette dernière n’a pas non plus pardonné à l’ancien chef d’Etat d’avoir voulu désigner Gamal comme son héritier, la tradition voulant qu’en Egypte le président soit issu des rangs de l’armée.

Déconnecté de la réalité

Contrairem­ent à ses prédécesse­urs Gamal Abdel Nasser et Anouar el-Sadate, Hosni Moubarak

ne s’est illustré au cours de son règne entre 1981 et 2011 ni par sa politique, ni par son charisme. Les moins de 30 ans lui ont au contraire reproché d’être totalement déconnecté de la réalité. Hosni Moubarak doit surtout son accession au pouvoir à la fin tragique de son prédécesse­ur Anouar el-Sadate, assassiné lors d’un défilé militaire dans un attentat du Djihad islamique. Hosni Moubarak, vice-président, est alors nommé pour le remplacer. S’il a échappé en 1995 à un attentat, son règne est entaché par des attaques islamistes sanglantes qui ont marqué les esprits, notamment en 1997 à Louxor et en 2004 dans le Sinaï.

Si le chef de l’Etat n’a pas fondamenta­lement révolution­né l’histoire du pays, Abdel Moneim Said, président du journal Al-Masry

al-Youm, l’un des quotidiens les plus importants du pays, estime lui que, dix ans après sa chute, l’image d’Hosni Moubarak s’est modifiée. Pour cet ancien membre du PND (le National Democratic Party d’Hosni Moubarak), «en comparaiso­n avec l’histoire du Moyen-Orient au cours de ces dix dernières années, on s’aperçoit qu’Hosni Moubarak a maintenu la stabilité dans son pays pendant trente ans. Sa position his

torique dans l’esprit des gens s’est améliorée», assure celui qui a rencontré Hosni Moubarak à plusieurs reprises au cours de sa carrière profession­nelle.

La répression en héritage

Un point de vue que ne partage pas du tout Mohamed Lotfy, défenseur des droits de l’homme, pour lequel «Hosni Moubarak a disparu sans rendre compte de ses crimes». Il s’explique sans ciller: «Il avait été jugé coupable de la mort de 850 personnes pendant la révolution de 2011 et emprisonné mais a finalement été acquitté lors d’un deuxième procès. De toute façon, il a échappé à la justice malgré ses trente ans de brutalités policières, de répression et de paupérisat­ion de la population.» Pire encore à ses yeux: l’ancien chef d’Etat a légué la répression en héritage au régime actuel. «Une répression encore plus violente aujourd’hui qu’elle ne l’était.»

Mardi, la majorité des Egyptiens ne semblaient pas se soucier outre mesure de la disparitio­n de celui qui aura dirigé le pays pendant des décennies. Elle se sent sans doute plus concernée par une paupérisat­ion qui s’est encore considérab­lement accrue ces cinq dernières années.

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