Le Mamco consacre une monumentale rétrospective à Olivier Mosset
Le Musée d’art moderne et contemporain consacre une monumentale rétrospective au peintre neuchâtelois, dont les toiles, souvent d’une seule couleur, donnent peu à voir mais font beaucoup parler
C'est de la grande peinture qu'expose depuis mardi le Mamco. Voire de la très grande, aussi bien par la taille – certaines toiles mesurent six mètres de long – que par leur impact sur l'histoire de l'art. Après John Armleder, Sylvie Fleury, Thomas Huber et Sarkis, c'est à l'oeuvre d'Olivier Mosset que le Musée d'art moderne et contemporain consacre la quasi-intégralité de ses salles. Lionel Bovier, directeur du Mamco, et Paul Bernard, conservateur, n'ont pas composé cette rétrospective comme l'entend la tradition. Le travail de l'artiste neuchâtelois né à Berne en 1944 couvre presque soixante ans de carrière, principalement entre Paris, New York et Tucson. Ils n'ont retenu que ses peintures, souvent d'une seule couleur, qui donnent peu à voir mais font beaucoup parler. «Olivier Mosset est un artiste du XXe siècle dont l'engagement dans les avantgardes est chevillé au pinceau», observe Paul Bernard.
En 1966, sans le savoir, le Neuchâtelois entre dans l'histoire. Dans son atelier, il peint un cercle noir sur une toile blanche de format carré. Le geste va devenir sa signature, une sorte de logo qui va le poursuivre toute sa carrière. Mosset en produira 150. Le Mamco en expose des dizaines qui vous observent de leur oeil unique. Au début, le cercle noir sur fond blanc sert dans le décor d'un film tourné par le réalisateur neuchâtelois Jacques Sandoz. A Paris, Olivier Mosset répète ce motif. Le critique d'art Otto Hahn en achète un. Les galeristes Yvon Lambert et Rufold Zwirner s'entichent également de cette peinture qui ne ressemble à aucune autre.
La critique a beaucoup glosé sur ce cercle. Elle y a vu le «O» d'Olivier, mais aussi le degré zéro de la peinture. Tandis que les connaisseurs le rattachent immédiatement à un autre geste radical, celui de Kazimir Malevitch qui, en 1915, expose un carré noir peint sur une toile blanche. «Sauf qu'à l'époque, je n'avais jamais vu ce tableau, explique l'artiste. Je ne sais pas pourquoi j'ai peint ce cercle. A l'époque, les artistes entraient souvent en réaction avec l'art qui les précédait. Sans doute que le climat était alors favorable pour renverser l'expressionnisme abstrait américain. C'est ce que j'aime dans ce genre d'exposition qui montre l'ensemble d'un travail. Certaines choses apparaissent. J'ai toujours compris ce que je faisais après coup.»
L'accrochage consacre aussi des salles aux artistes avec qui le peintre a beaucoup collaboré comme Steven Parrino, Cady Noland ou encore John Armleder et Sylvie Fleury avec qui il a formé le trio AMF, le temps de trois expositions. «Une oeuvre n'apparaît jamais seule, explique Lionel Bovier. Nous avons voulu montrer les différentes scènes artistiques qu'Olivier Mosset a traversées.» Parmi celles-ci, il y a bien sûr la rencontre avec Daniel Buren, Michel Parmentier et Niele Toroni. Plus connus sous leur acronyme BMPT, les quatre peintres ont oeuvré ensemble juste avant Mai 68. L'idée? Mettre en crise le principe de signature en s'appropriant le travail de l'autre, chacun ayant son motif attitré. C'est ainsi que Mosset va peindre les fameuses bandes verticales qui sont encore aujourd'hui la marque de fabrique de Buren. Mais ce qui semble parfaitement huilé en théorie va se gripper au moment de passer à la pratique. Le carré d'art se sépare après neuf mois d'activité, fâché à vie.
Olivier Mosset récupère ses cercles. Salvador Dali assiste au vernissage de leur première exposition publique à la Galerie Rive Droite en 1968. «Il m'a invité dans sa suite à l'hôtel Meurice. Il était très généreux et très au fait de l'art qui se faisait, se souvient l'artiste. Le plus drôle, c'est qu'il parlait un français sans accent. Il entrait dans son personnage dès lors qu'il sortait de chez lui.» L'année 1968 justement. La révolution agite Paris. Mosset se fait arrêter. Plus tard, les autorités s'en souviendront lorsqu'elles refuseront de prolonger sa carte de séjour.
Au revoir Paris, good morning New York, où le peintre s'installe en 1977. Quelques séjours en Suisse mis à part, il ne quittera plus les Etats-Unis. A l'époque, Julian Schnabel, Jean-Michel Basquiat et Keith Haring affirment le grand retour de la figuration dans l'art. Mosset ne change rien. «Moi qui peignais des monochromes rouges, je me préparais des temps difficiles. Je me suis inscrit à l'université pour pouvoir enseigner.» Et puis le vent tourne. Une nouvelle peinture géométrique, le Néo-Géo, s'impose. L'artiste Marcia Hafif fait émerger la Radical Painting. Dans une soirée, en 1985, Andy Warhol décroche une toile toute jaune du peintre neuchâtelois, la signe et la date.
Le pays des grands espaces est aussi celui de la moto. Olivier Mosset en possède plusieurs avec lesquelles il a traversé l'Amérique. «Au début, c'est la beauté de l'objet qui m'a intéressé. Et puis je suis entré dans cette culture biker, qui m'a notamment ouvert au rock, alors j'écoutais surtout des compositeurs de musique contemporaine. Un jour, je me suis dit que ce serait bien d'exposer des motos devant mes toiles. Comme ça les gens regarderaient peut-être mes tableaux.»
Le soir du vernissage au Mamco, le chanteur Christophe est venu coller des nappes électroniques sur une conversation de l'artiste enregistrée pour une exposition au Centre d'art de Neuchâtel. «Je l'ai rencontré à cette occasion. Il est drôle, il vit la nuit au milieu de ses guitares. Et il connaît bien la peinture contemporaine.» L'auteur des Mots bleus qui rencontre celui du Cercle noir? Ces deux-là avaient forcément beaucoup de belles choses à se dire.
Olivier Mosset, jusqu’au 21 juin, Mamco, Genève, 10, rue des Vieux-Grenadiers, 022 320 61 22, mamco.ch
«Un jour, je me suis dit que ce serait bien d’exposer des motos devant mes toiles. Comme ça les gens regarderaient peut-être mes tableaux» OLIVIER MOSSET