«Les Huguenots» en imposent à Genève
L’opéra monumental de Giacomo Meyerbeer atteint, avec l’orchestre et la distribution, un aboutissement musical que la mise en scène peine à rejoindre
Quelle aventure, ces Huguenots! Pour leur dimension exceptionnelle et leur rareté. Pour le symbole fort que le massacre de la Saint-Barthélemy représente à Genève. Et surtout pour les richesses de sa partition et des forces musicales en jeu. C’est vers elles que toute l’attention se porte dans la nouvelle production genevoise d’un titre qu’on n’avait plus revu depuis presque un siècle…
L’annonce d’une lecture à la fois respectueuse et ouverte, par le truchement du cinéma, promettait de bonnes idées. Jossi Wieler et Sergio Morabito avaient apporté en 2013 une Rusalka controversée, qui quittait ses eaux originelles pour une maison close. Vision osée, mais, en définitive, spectacle réussi.
Moins décapante, leur interprétation scénique des Huguenots s’avère en fait plutôt plate. Non par manque d’ambition du projet. Mais par une certaine faiblesse dans la manière de le décliner. Trop d’idées (c’était aussi leur particularité dans Rusalka) tue l’idée maîtresse. Et on se perd dans l’agitation d’un univers cinématographique des années 1930 sans véritable objectif.
Renouer avec le contexte sacré et historique
Marguerite de Valois y devient productrice et réalisatrice d’un film où elle fait figure de maquerelle minaudante. La reine mère Catherine de Médicis, absente du livret, fomente des complots au téléphone alors que les ballets d’Altea Garrido gesticulent entre danse de SaintGuy et déhanchements de revue.
Du côté des costumes d’Anna Viebrock, qui opposent habits ternes et tenues scintillantes d’époque, ils défilent devant d’anciennes caméras dont on se demande ce qu’elles veulent montrer. Ce désordre sémantique pourrait se voir resserré dans l’imposant décor de la costumière, aussi scénographe. Les immenses piliers et les bancs en bois de la cathédrale Saint-Pierre figurent la rigueur calviniste alors que ses hauts murs de studios abandonnés de Cinecittà se confondent avec ceux d’un univers concentrationnaire.
Seules les ombres de huguenots hantant le plateau et les corps ensanglantés de martyrs rampant au sol rappellent que l’ouvrage se base sur une réalité tragique. Lorsque Les Huguenots renouent avec leur contexte sacré et historique, lorsqu’ils se dénudent d’accessoires artificiels, ils retrouvent force et sens. A l’image des choeurs assis en front de scène à l’ouverture du 3e acte, qui délivrent un saisissant «C’est le jour du dimanche…», ou de l’assassin «Abjurez, huguenots…» asséné dans une puissance renversante, debout face à la salle, sur toute la largeur du plateau.
Fresques magistrales
Le choeur du Grand Théâtre, justement, est un protagoniste essentiel de la partition donnée dans son intégralité. Il s’impose en maître des lieux. Acéré, ravageur, d’une intensité suffocante, il suit sans faillir le mouvement tranchant imprimé par un Marc Minkowski dans son élément. Car c’est dans les grandes épopées et les fresques magistrales que le chef baroque domine au mieux les tensions, les ruptures et la violence de masses sonores dressées en déferlantes. Sa gestique massive et balancée convient aux grands élans plus qu’à la dentelle. Elle sait adoucir la rage et soulever la puissance de façon radicale. L’OSR se lance sans compter dans cette bataille grandiose où le coeur, la raison, la filiation, l’Etat et l’Eglise se livrent la guerre. Quant aux instrumentistes montés sur scène (clarinette basse de Camillo Battistello, flûte de l’ancien de l’OSR Robert Thuillier, et viole d’amour d’Elçim Özdemir), ils enluminent les protagonistes qu’ils doublent.
Il faut de sacrés solistes pour résister à la pression de rôles constamment exposés. Au sein d’une distribution où personne ne démérite, les sept personnages principaux sont à saluer. Parmi les premières apparitions genevoises, Ana Durlovski trouve en Marguerite de Valois un personnage à sa mesure.
Venue des Balkans
Sa longueur de voix, sa souplesse mélodique, ses vocalises aériennes, ses aigus de rêve et ses pianissimi frissonnants se déploient sur un vibrato et une prononciation venus des Balkans. Au fil du temps, les qualités de la colorature révèlent une soprano qui n’a pas à pâlir devant Joan Sutherland…
Mezzo piquante dans le rôle d’Urbain, si vive et légère, Lea Desandre évolue en papillon devant Rachel Willis-Sørensen. La soprano américaine incarne Valentine d’une voix de caramel généreuse, ample et charnelle, sur un tempérament dramatique exemplaire et une ligne de chant éblouissante.
Du côté masculin, John Osborn domine le quatuor solistique par son héroïsme tant vocal que mental, malgré le personnage à la limite du benêt qui lui est dévolu. La profondeur boisée de la basse Michele Pertusi imprime une royale humanité à Marcel face à Alexandre Duhamel (Nevers noble au timbre chaleureux) et Laurent Alvaro (comte de Saint Bris clair et droit), qu’on espère réentendre bientôt sur la scène de Neuve.
Grand Théâtre, les 28 février, 4, 6, 8 mars à 18h. Le 1er mars à 15h. Rens: 022 322 50 50, www.gtg.ch