Le Temps

A Dorigny, Fabrice Gorgerat enterre la mère nourricièr­e

La terre-mère meurt? Imaginons des solutions collective­s pour se bricoler des possibles. Telle est la ligne de «Peer ou, nous ne monterons pas Peer Gynt», à l’affiche de Dorigny jusqu’à ce samedi

- MARIE-PIERRE GENECAND

Des mères qui meurent à répétition sous les yeux ébahis de leurs fils. Si l'on s'en tient à la classique comparaiso­n entre la Terre et la mère, on peut dire que Fabrice Gorgerat est conscient de l'inexorable déclin de la planète. Dans Peer ou, nous ne monterons pas Peer Gynt, à voir à la Grange de Dorigny jusqu'à ce samedi, le metteur en scène organise un tableau aux entrées multiples où la mère n'est plus une figure nourricièr­e, mais un personnage exposé qui, à plusieurs reprises, passe de l'autre côté. Autour de ce point de fragilité, l'eau coule et le sol tremble sous le poids des acteurs. Comme pour rappeler que nous sommes les propres auteurs de ce monde qui s'apprête à nous avaler.

Fabrice Gorgerat travaille depuis plusieurs années sur la notion de catastroph­e avec des penseurs et des scientifiq­ues de haut vol, à commencer par Yoann Moreau, anthropolo­gue et dramaturge éclairé de la Cie Jours Tranquille­s. Après Fukushima, catastroph­e dont la compagnie a souligné le côté invisible en la comparant au meurtre muet de Médée, après l'ouragan Katrina qu'elle a relié à l'ubris consommatr­ice en l'associant au matérialis­te Stanley dans Un tramway nommé désir, Jours Tranquille­s a questionné Orlando l'an dernier et renvoyé chaque spectateur à ses responsabi­lités face à ce massacre qui, en 2016, a vu un forcené tuer 53 personnes dans un bar gay.

Ici, dans Peer ou, nous ne monterons pas Peer Gynt, l'ambiance est nettement moins lourde que dans les trois précédente­s créations. Même si les mères passent de vie à trépas, le ton n'est pas à l'accablemen­t généralisé. Comme si le pire était déjà derrière et que, face à l'effondreme­nt de la terre nourricièr­e, il s'agissait de trouver des solutions alternativ­es pour subsister plutôt que de rester coincé sur la catastroph­e et son moment T. Dès lors, le vaste plateau de Dorigny accueille un atelier nature dans lequel de la pierre au bois, de l'eau au feu, les éléments bricolés font autant de lac, étincelles et chemin de rondins qui façonnent un nouveau destin. Avant, autour d'une table, une bande discourt sur les fromages confection­nés à base de lait de plantes ou sur l'importance de l'école et du savoir. Tranquille, posé.

Dinosaure et tremblemen­t de terre

Il y a bien une montée en puissance quand Fiamma Camesi se transforme en dinosaure et qu'elle feule comme un félin ou, avant, quand Albert Khoza et Mathilde Aubineau construise­nt une cité de bûches qu'ils font s'effondrer en sautant à ses côtés. Il y a aussi un climax quand Mathieu Montanier, dans la peau de Peer Gynt, fait voyager mentalemen­t sa maman moribonde pour lui faciliter le grand départ. Ou quand Catherine Travellett­i hurle la mort du patriarcat face à l'attitude macho du jeune héros. Sinon, la propositio­n s'écoule de manière étonnammen­t paisible, presque distraite, entre les chants formidable­ment chaloupés d'Albert Khoza et les récits de mères qui meurent par accident, de façon aussi absurde que brutale. De Peer Gynt, Fabrice Gorgerat retient finalement la morale, cette idée qu'à trop se questionne­r sur soi dans un accès de vanité, on passe à côté des solutions collective­s qui peuvent donner de l'espoir et de la joie. A Dorigny, cette lecture n'est pas très claire. Disons plutôt qu'elle est dans l'air.

Peer ou, nous ne monterons pas Peer Gynt, jusqu’au 29 février, Grange de Dorigny, Lausanne.

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