Communauté de destin
Robin Cook, l’auteur britannique du polar en colère Les mois d’avril sont meurtriers, a écrit un jour, citation de mémoire, que «sous les cendres de l’histoire, les braises peuvent toujours se rallumer». Ce sont les tisons des temps mauvais, ceux de l’Europe du pire, que le vent de l’épidémie vient de ranimer. L’effondrement de la confiance réciproque entre Etats, le règne des égoïsmes nationaux, le retour du pouvoir absolu et de l’autoritarisme. Pourtant, la crise voit aussi apparaître une autre Europe, celle du meilleur, des solidarités naturelles, des valeurs et «du refus de s’abandonner même à la réalité», selon le mot de Paul Valéry.
La Suisse, qui tient à garder ses distances avec l’Europe institutionnelle, aurait tort de considérer le risque mortel que court l’Union européenne avec la Schadenfreude des eurosceptiques ou la bonne conscience des Besserwisser, des donneurs de leçon. D’abord parce que tout ce qui affaiblit l’UE, notre principale partenaire commerciale et politique, affaiblit aussi la Suisse. Mais surtout parce que, à une autre échelle ou dans d’autres temps, la Confédération a fait l’expérience de la tentation de l’autoritarisme et continue à faire celle des égoïsmes. Moins dramatiquement et plus médiocrement, certes. La concurrence fiscale entre cantons et les débats aussi vifs que réguliers entre contributeurs de la péréquation et cantons pauvres ne diffère guère, sur le fond, des disputes européennes. Il n’y a pas si longtemps, l’ancien délégué neuchâtelois à la promotion économique, Francis Sermet, suscitait la polémique en déclarant que «l’égoïsme engendré par le fédéralisme est un obstacle à une meilleure répartition des activités économiques».
En Hongrie, les pleins pouvoirs accordés à Viktor Orban et les restrictions de libertés sans limitation dans le temps font craindre le retour aux régimes autoritaires et personnels dans d’autres pays d’Europe centrale aussi. L’impuissance de Bruxelles à s’y opposer n’est toutefois pas sans rappeler le difficile retour de la démocratie directe en Suisse après les pleins pouvoirs accordés au Conseil fédéral durant la Deuxième Guerre mondiale. Il a fallu l’adoption, de justesse, d’une initiative, en 1949, pour que le droit de référendum soit rétabli avec la souveraineté populaire. Le Conseil fédéral et le parlement s’y étaient longtemps opposés. Le conservateur Karl
Wick pouvait même déclarer en 1948 qu’un «Etat pouvait mourir d’un excès de démocratie».
Voilà qui devrait inciter la Suisse à l’humilité. Mais aussi au renforcement de notre participation à l’Europe de la solidarité et de la volonté. Cette Europe qui ne s’embarrasse pas des traités et des règles institutionnelles et renoue avec la communauté naturelle entre voisins. Accueil de patients français, soignants européens dans nos hôpitaux, coopération pour le rapatriement des nationaux, échanges d’informations, malgré les tentatives de réquisition de matériel, c’est l’Europe de la générosité. Celle dont parlait ici l’ambassadeur de l’UE Michael Matthiessen et qui sert aussi les intérêts de la Suisse à long terme. Notre effort est l’occasion de modifier l’image de profiteurs qui nous colle à la peau. Un rôle plus volontariste du Conseil fédéral affirmerait surtout l’appartenance de la Suisse à la communauté de destin de l’Europe, même hors des institutions, et pas seulement son intérêt à l’accès au grand marché.
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