Le Temps

La pandémie, et après

- STÉPHANE BENOIT-GODET RÉDACTEUR EN CHEF

Quand j’étais enfant, je faisais un cauchemar récurrent. Le monde s’effondrait et il ne restait plus que moi et quelques autres personnes. Situation parfaiteme­nt angoissant­e, mais non pas à cause du désastre lui-même ou de la mort de proches: mon rêve n’abordait pas cette partie de l’histoire. Les songes ont ceci de captivant qu’ils ne racontent pas tout et s’autorisent à se focaliser sur une minuscule bribe de narration. La portion terrifiant­e de ce récit tenait au fait que je ne savais rien faire de mes mains. Comment est-ce que j’allais m’en sortir dans un monde à rebâtir?

Depuis, je suis devenu journalist­e. Les méchantes langues diront que je ne sais toujours rien faire. Ce qui est au moins vrai pour la pratique des travaux manuels. Le problème, c’est que le cauchemar a pris une tout autre dimension aujourd’hui avec la pandémie. Notre organisati­on mondialisé­e du travail a permis à certains pays de se spécialise­r dans la production de biens et services qu’ils maîtrisent mieux que d’autres. Comprenez, le plus souvent, que les tâches manufactur­ières reviennent à ceux qui ont les coûts de maind’oeuvre les plus bas. En Suisse, nous nous sommes ainsi spécialisé­s dans l’industrie et les services à haute valeur ajoutée.

Ici, vous pouvez trouver aussi bien des gens qui fabriquent, dans le monde concret, des montres avec des complicati­ons extrêmes que d’autres qui créent des produits financiers tout aussi élaborés dans un univers complèteme­nt désincarné. On a même construit la fenêtre qui s’ouvre sur internet, avec le web, et un médecin génial a inventé le stent, ce petit ressort qui sauve la vie de milliers de cardiaques chaque année. Sans parler des médicament­s, des robots et de mille autres choses encore. Mais nous ne savons pas fabriquer de simples masques médicaux. Et cela me fait retomber dans mon cauchemar d’enfance.

Il n’y a aucun doute que la mondialisa­tion a eu des effets bénéfiques: elle a tiré des milliards d’êtres humains de la pauvreté. Mais le coût a été important, notamment en termes d’inégalités et d’écologie. A tel point que notre modèle d’organisati­on de vie en société se voit aujourd’hui remis en cause.

Le raccourci paraît simple. Après la pandémie, va-t-on vers la démondiali­sation? Nous fabriquero­ns dès lors tout ce dont nous avons besoin? Je ne le crois pas. Il faut se méfier des bouleverse­ments provoqués par des cataclysme­s, ils se produisent souvent là où on ne les attend pas. La Première Guerre mondiale («Plus jamais ça!») a amené la Seconde, la réaction politique au drame du 11-Septembre (basée sur le soi-disant programme nucléaire irakien et les écoutes à large échelle) a davantage miné la démocratie que les attentats.

L’important sera de sortir de cette crise par le haut. Ce qui veut dire, dans l’immédiat, éviter un flicage intégral de la population grâce aux outils technologi­ques. Pour éviter qu’à la prochaine catastroph­e, on ne se retrouve démuni comme l’enfant que j’étais dans le cauchemar d’un monde dévasté.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland