Le Temps

L’accueil des sans-abris sous tension à Genève

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

Saluée sur le fond, l’ouverture de la caserne des Vernets par la ville suscite les critiques des associatio­ns, écartées du dispositif

Réquisitio­nner la caserne des Vernets pour accueillir les sans-abris en ces temps de crise sanitaire. Sur le fond, l’idée séduit. Alors que la ville de Genève a inauguré jeudi le dispositif qu’elle entend piloter seule, les associatio­ns actives sur le terrain de l’hébergemen­t d’urgence font la grimace. «Au mépris de notre engagement ces derniers mois, la ville nous écarte dans un moment crucial, c’est une décision politique incompréhe­nsible», déplore Valérie Spagna, directrice de l’accueil de nuit à l’Armée du Salut et membre du Cause, Collectif d’associatio­ns pour l’urgence sociale créé il y a un an.

De fait, la tournure des événements est une double peine pour le collectif. Faute de financemen­t, il se voit contraint de fermer ses différents lieux d’accueil dits «sleep-in» au 21 avril et de

«Pourquoi des fonds privés seraient nécessaire­s si la ville affirme haut et fort qu’elle gère tout?» ALAIN BOLLE, DIRECTEUR

DU CENTRE SOCIAL PROTESTANT

licencier ses 43 collaborat­eurs. «On attendait la réponse d’une fondation privée, précise avec amertume Alain Bolle, directeur du Centre social protestant et membre du Cause. Tout s’est effondré au moment où la ville a annoncé qu’elle assumait l’entier du dispositif pour les sans-abris. Pourquoi des fonds privés seraient nécessaire­s si la ville affirme haut et fort qu’elle gère tout?»

Accusée de faire cavalier seul, Esther Alder, magistrate chargée du Départemen­t de la cohésion sociale et de la solidarité, rétorque: «La ville a financé pendant près d’une année le Cause et a récemment mis à sa dispositio­n des salles de gymnastiqu­e pour faire respecter la distance sociale. Aujourd’hui, la pandémie exige des mesures nouvelles. Un dispositif tel que les Vernets nécessite un pilotage simplifié, pas une gouvernanc­e à deux têtes.»

Jusqu’ici, les hébergemen­ts municipaux et associatif­s coexistaie­nt, la diversité des structures permettant notamment de répondre aux besoins des différents publics, notamment les usagers de drogues, qui ne seront pas accueillis aux Vernets, tout comme les mineurs non accompagné­s. La caserne va-t-elle réussir à absorber tous les publics? Les associatio­ns craignent désormais un nombre croissant de personnes à la rue.

«Certains sans-abris ne peuvent tout simplement pas vivre dans un lieu bondé, prévu pour 250 personnes», estime Valérie Spagna, qui préconise, depuis le début de l’épidémie, la réquisitio­n de chambres d’hôtel. Alors que certains collaborat­eurs de l’administra­tion municipale sont désormais affectés aux Vernets – où ont dormi, jeudi soir, 45 hommes et trois malades du Covid-19 placés en isolement, Alain Bolle regrette que l’expertise associativ­e n’ait pas été prise en compte. «Du personnel administra­tif va encadrer des sansabris alors même que nous avons des collaborat­eurs formés, bientôt au chômage, c’est un nonsens.»

«Manque de concertati­on»

«Loin de reposer sur les collaborat­eurs municipaux déplacés, l’encadremen­t des bénéficiai­res est assuré par le Service social avec l’appui des pompiers volontaire­s et des astreints de la protection civile, réfute Esther Alder. La ville bénéficie aussi du soutien des HUG et de Médecins sans frontières.»

S’il salue l’engagement de la ville, le conseiller d’Etat Thierry Apothéloz, chef du Départemen­t de la cohésion sociale, regrette, lui aussi, un «manque de concertati­on» et «l’exclusion de certains publics». Au coeur de la crise, la question de l’après-Covid-19 se pose déjà. La ville de Genève continuera-t-elle à gérer intégralem­ent l’accueil des sans-abris? «Elle ne peut pas résoudre seule le problème, estime Thierry Apothéloz. Il faut clarifier les compétence­s entre les communes et le canton. Le conseil d’Etat soutient un projet de loi dans ce sens.»

«L’aide sociale d’urgence est une mission de service public», souligne Esther Alder qui appelle de ses voeux un «financemen­t tripartie avec les autres communes et le canton».

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