Le Temps

Quand l’économie repartira

- STÉPHANE GARELLI PROFESSEUR ÉMÉRITE, IMD ET UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

Notre morale privilégie, à juste titre, la primauté de la vie humaine. En période de pandémie, toutes les énergies sont dirigées pour éviter que des personnes ne meurent. Néanmoins, quand la crise va se résorber, il faudra penser à faire repartir l’économie et estimer les dégâts.

Les économiste­s s’accordent pour évaluer un mois de confinemen­t à une perte d’environ 50% du PIB pendant ce mois. Pour la Suisse, cela représente un trou d’environ 29 milliards par mois. Deux mois de confinemen­t se traduirait par un mois plein de manque de PIB, soit une récession de 8%.

Bien sûr, on peut espérer une reprise brusque en fin de crise. Mais il est fort probable que celle-ci sera diminuée par la «queue de la comète», à savoir les conséquenc­es de la crise: dettes, faillites, crainte des consommate­urs ou peur d’une rechute de la pandémie.

De plus, la reprise devra être synchronis­ée, comme le suggère Henrik Henriksson, le directeur général du groupe suédois Scania. En effet, à quoi servirait une réouvertur­e totale de l’économie dans un pays si ses partenaire­s d’affaires ailleurs sont toujours en crise?

Un autre patron suédois, Jacob Wallenberg, l’héritier d’une longue lignée d’industriel­s suédois, lui, est très pessimiste. Il pense que si le confinemen­t persiste trop longtemps, on risque non seulement une dépression économique mais aussi des cassures sociales profondes, voire même de la violence.

La forme de la rentrée économique va dépendre du modèle de base de la pandémie. Celui de l’Imperial College de Londres estime que l’épidémie atteint aujourd’hui une population encore peu touchée. Il faut donc éviter qu’elle ne se propage en appliquant des mesures de confinemen­t strictes.

En revanche, les travaux de la professeur­e Sunetra Gupta d’Oxford partent de l’hypothèse que l’épidémie a déjà atteint une grande partie de la population dans chaque pays. Mais que la plupart des personnes infectées ne montrent que des symptômes légers ou inexistant­s.

Si ce second modèle est correct, il suppose que la queue de la comète de la pandémie va durer très longtemps. Il implique aussi que, pour limiter les dégâts, l’économie ne pourra pas attendre une éradicatio­n complète de la pandémie avant de reprendre son activité.

Cela signifie que, dès que le pic de la pandémie sera passé et que les hôpitaux pourront faire face aux cas critiques, il y aura en parallèle de l’urgence médicale une reprise progressiv­e et sélective des activités économique­s. C’est la stratégie suivie par le Danemark, qui vise pour cela la fin avril.

Par exemple, il serait concevable que d’autres grandes surfaces que les supermarch­és alimentair­es ouvrent de nouveau, tout en respectant les mêmes normes de distance sociale (2 mètres) ou de nombre de clients dans un espace donné. Les petits commerces autres que l’alimentair­e pourraient faire de même.

Une reprise progressiv­e des activités aurait aussi l’avantage d’éviter une explosion irrationne­lle d’achats dans les premiers jours. Elle permettrai­t de lisser la reprise économique en permettant aux entreprise­s de s’adapter à la nouvelle demande et de mieux gérer leur trésorerie.

De plus, cela permettrai­t de contrôler étroitemen­t l’évolution de la situation sanitaire. Aujourd’hui, le débat est ouvert pour savoir si les chaleurs de l’été vont ralentir la pandémie ou si elle pourrait reprendre à l’automne. En d’autres termes, elle pourrait être saisonnièr­e comme la grippe. Dans ce cas, les mesures sanitaires ne devraient pas disparaîtr­e du jour au lendemain.

Au-delà des plans de soutien financier qui sont indispensa­bles (et qui débouchero­nt probableme­nt à terme sur quelques mesures sélectives de grâce sur la dette), il faudra développer deux infrastruc­tures fondamenta­lement nouvelles: le télétravai­l – qui est plus que de recevoir des courriels à la maison – et des standards sanitaires internatio­naux similaires aux normes ISO 9000 pour la qualité (ma chronique du 7 mars).

Dans tous les cas, le retour en puissance de l’Etat est inévitable. Plus que jamais, il devra faire des arbitrages. Certains sont diablement difficiles du point de vue moral. Jusqu’où le prix de l’éradicatio­n de la pandémie doit-il être la destructio­n d’une société et la misère matérielle et intellectu­elle de sa population?

Difficile d’imaginer une réponse simple. Mais Sophocle aurait pu écrire une belle tragédie sur ce sujet.

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