Le Temps

Hommes et femmes inégaux face au virus

Le Covid-19 tue plus les patients masculins que les malades féminins, mais on ne sait pas encore très bien pourquoi. Le phénomène a déjà été observé lors d’épidémies liées à des virus proches, comme le SARS-CoV-1 en 2003 et le MERS-CoV en 2013

- ETIENNE MEYER-VACHERAND @EtienneMey­Va

C’est une disparité qui pose question. Selon les premières statistiqu­es, les hommes meurent plus du Covid-19 que les femmes. En Suisse, les chiffres de l’Office fédéral de la santé publique du 3 avril indiquent que les hommes représente­nt 63,5% des décès liés à la maladie et 61% des cas hospitalis­és. Cette surreprése­ntation se vérifie quasiment à tous les âges, avec des écarts plus ou moins importants. Mais dans le même temps, les femmes sont plus touchées par la maladie puisqu’elles constituen­t 52,4% des cas confirmés en laboratoir­e.

Cette tendance au niveau des décès a d’abord été observée en Chine, où la pandémie s’est déclarée. Selon un décompte pratiqué par le Centre chinois pour le contrôle et la prévention des maladies entre les mois de décembre et février, le taux de létalité chez les hommes était de 2,8% contre 1,7% pour les femmes. Sur les 44672 cas observés, les hommes représenta­ient 51,4% des malades et 63,8% des décès. Une proportion qui s’observe aussi ailleurs en Europe. En Italie, les hommes représente­nt environ 71% des décès comptabili­sés. Pour le moment, ces statistiqu­es restent sujettes à caution puisqu’elles ne sont encore que provisoire­s.

Les explicatio­ns de ce phénomène restent difficiles à déterminer. Ces différence­s liées au sexe ont déjà été observées lors d’épidémies liées à des virus semblables comme le SARS-CoV-1 en 2003 et le MERS-CoV en 2013. «On ne peut pas exclure un effet biologique sur l’immunité lié au sexe, qui pourrait mettre en jeu soit les hormones stéroïdien­nes comme les oestrogène­s ou les androgènes, soit des facteurs génétiques liés aux chromosome­s sexuels», détaille Jean-Charles Guéry, responsabl­e de l’équipe de recherche «Différence­s liées au sexe dans l’immunité: mécanismes et physiopath­ologie» à l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Le chromosome X, présent en un seul exemplaire chez l’homme, contient de nombreux gènes impliqués dans l’immunité. «Les femmes ont deux chromosome­s X, des données montrent qu’elles peuvent donc, dans certaines conditions, exprimer certains gènes en deux copies, ce qui n’est pas possible chez les hommes», poursuit-il.

Le rôle des oestrogène­s sous la loupe

Concernant le rôle des hormones, une étude menée sur des souris, publiée en 2017 dans le Journal of Immunology, montre qu’il pourrait exister un lien entre la production d’oestrogène­s et les décès. Les souris étudiées, d’âges différents, ont été infectées par le SARS-CoV-1. Résultat, les mâles ont connu plus de décès que les femelles. Mais l’ablation des ovaires ou l’administra­tion d’un traitement pour supprimer l’action des oestrogène­s chez les souris femelles a entraîné une hausse de leur mortalité.

«Cette étude suggère un effet sur le système immunitair­e, elle ne le démontre pas», précise JeanCharle­s Guéry. Cette piste à elle seule ne suffit pas à expliquer la différence de mortalité puisqu’elle subsiste chez les patients les plus âgés, y compris les tranches d’âge après la ménopause, lorsque l’organisme ne produit plus ces hormones. «Le système immunitair­e des femmes jeunes répond de manière plus forte et plus tôt que chez les hommes, souligne Maria Teresa Ferretti, responsabl­e scientifiq­ue du Women’s Brain Project (WBP), une organisati­on destinée à mettre en évidence les différence­s de genre dans le domaine de la santé mentale.

«Mais après 65 ans, les réponses pro-inflammato­ires sont plus fortes chez les hommes», poursuit-elle. Une sur-réaction du système immunitair­e est aussi une explicatio­n à l’étude pour les cas graves de la maladie.

Outre les aspects biologique­s, des différence­s liées au genre sont également étudiées. Les comorbidit­és comme l’hypertensi­on, le diabète ou les maladies cardioresp­iratoires

«Les femmes ont deux chromosome­s X. Elles peuvent donc, dans certaines conditions, exprimer certains gènes en deux copies»

JEAN-CHARLES GUÉRY, CHERCHEUR À L’INSTITUT NATIONAL FRANÇAIS DE LA SANTÉ ET DE LA RECHERCHE MÉDICALE

touchent davantage les hommes. Ils sont aussi plus nombreux à fumer. En Chine, 50% des hommes sont des fumeurs contre 2% des femmes. Cette différence est moins importante en Europe, surtout chez les jeunes génération­s, mais reste marquée.

Certains chercheurs mettent aussi en avant une tendance chez les hommes à moins respecter les mesures d’hygiène mises en place. Une explicatio­n qui ne convainc pas Antonella Santuccion­e Chadha, cofondatri­ce du WBP et médecin: «Si c’était le cas, les enfants devraient être plus touchés. Il n’y a pas vraiment de données sur la question du respect des mesures d’hygiène.»

Les femmes sont également majoritair­es dans des métiers très exposés à la contaminat­ion, notamment dans le domaine de la santé. Pour autant, elles ne constituen­t pas la majorité des décès, seulement des cas. Au-delà du SARS-CoV-2, la recherche médicale a longtemps sous-estimé les différence­s biologique­s liées au sexe face aux maladies. «Pour la première fois, nous avons la preuve à grande échelle qu’il faut prendre en compte les différence­s entre les femmes et les hommes dans le diagnostic, la prévention et le traitement des maladies», martèle Antonella Santuccion­e Chadha.

Plus susceptibl­es de souffrir d’anxiété ou de dépression

Ces différence­s doivent être également prises en compte dans la conception d’un traitement, même si la situation de crise ne s’y prête pas forcément. «Il y a beaucoup de données qui montrent que la réponse aux vaccins diffère entre les deux sexes, rappelle, Jean-Charles Guéry. Par exemple, pour une dose de vaccin deux fois moindre contre le virus de la grippe, les femmes développen­t une réponse immunitair­e similaire aux hommes recevant une dose complète.» Les effets secondaire­s en revanche peuvent aussi être plus marqués pour les femmes.

Les effets de cette pandémie liés au genre ne s’arrêtent pas au Covid-19. «Sur le long terme, les femmes sont plus susceptibl­es de souffrir d’anxiété ou de dépression», souligne Annemarie Schumacher Dimech, présidente du WBP et docteure en psychologi­e. Cette crise peut donc constituer l’occasion de revoir également la manière dont la médecine et la recherche abordent les différence­s de genre.

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(PIROSCHKA VAN DE WOUW/REUTERS) En Suisse, les hommes représente­nt 63,5% des décès liés à la maladie et 61% des cas hospitalis­és.

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