Le cinéma romand mort ou vif
Même si l’histoire des images animées démarre bien plus tôt, c’est le 28 décembre 1895 qu’on retient pour dater officiellement la naissance du cinéma. Ce soir-là, dans le Salon indien du Grand Café, à Paris, les frères Lumière organisaient la première séance publique de leur nouvelle invention, le cinématographe. A peine plus de 30 spectateurs étaient présents, mais tous furent sidérés. Parmi eux, un certain Georges Méliès. «A ce spectacle, nous restâmes tous bouche bée, frappés de stupeur, surpris au-delà de toute expression», dira le prestidigitateur, futur inventeur des effets spéciaux et pionnier du cinéma fantastique.
Plus de septante ans après, du côté de Genève, cinq réalisateurs oeuvrant essentiellement pour la télévision signaient un document qui, ils ne le savaient pas encore, sera plus tard considéré comme l’acte fondateur du cinéma suisse moderne. Ce 2 septembre 1968, Claude Goretta, Jean-Jacques Lagrange, Jean-Louis Roy, Michel Soutter et Alain Tanner fondent le Groupe 5. Grâce au soutien du service public, grâce à ses outils aussi, ces mousquetaires réaliseront jusqu’en 1973 et la dissolution de l’association sept longs métrages qui permettront au moribond cinéma helvétique de se faire une place sur la scène internationale. Le premier, Charles
mort ou vif, de Tanner, obtiendra le Léopard d’or du Festival de Locarno. Les suivants seront tous sélectionnés, et parfois primés, à Cannes ou à Berlin.
La disparition le week-end dernier de Roy a remis en lumière l’importance capitale du Groupe 5 – dont Tanner et Lagrange sont désormais les deux derniers survivants, comme Godard est le dernier héraut encore debout de la Nouvelle Vague. A l’heure où le cinéma est à l’arrêt, où les sorties sont repoussées, les tournages annulés et les projets compromis par la crise économique qui s’annonce, le Groupe 5 comme la Nouvelle Vague viennent rappeler l’importance de l’entraide, de la solidarité, de l’union. Travailler et penser à plusieurs, fédérer des auteurs mais aussi des techniciens autour d’une série de projets communs, peut s’avérer salutaire.
Le cinéma romand se relèvera-t-il du chaos qu’un ennemi invisible et microscopique est en train de provoquer? Oui, j’en suis certain. Car une nouvelle génération est là, pleine de ressources et d’envies. Mais si elle veut exister, elle doit retenir les leçons de l’histoire, éviter de se croire plus forte, de vouloir pratiquer la politique de la tabula rasa.
Bande à Part, Climage: dans la lignée du Groupe 5, la plupart des cinéastes qui se sont distingués ces vingt dernières années sont issus de collectifs. Ce n’est pas un hasard.