Le Temps

L’agricultur­e au défidu confinemen­t

- RICHARD WERLY, MANOSQUE @LTwerly

Comment assurer les récoltes et les travaux agricoles indispensa­bles à l’approvisio­nnement des magasins alimentair­es? Pour remplacer les saisonnier­s étrangers, les paysans français explorent toutes les solutions. Y compris le recours aux «migrants»

La demande est sur la table du préfet des Alpes-de-Haute-Provence, signée par la chambre d’agricultur­e départemen­tale. Le motif? L’indispensa­ble remplaceme­nt des travailleu­rs saisonnier­s étrangers qui, au printemps, constituen­t le gros des «récolteurs» dans les fermes maraîchère­s de la région: 280000 débarquent chaque année en France pour récolter fraises, melons et légumes… «D’ordinaire, ces «petites mains» viennent d’Espagne, du Portugal ou du Maroc, explique Daniel Margot, président de la Chambre de commerce et d’industrie locale (CCI). Les paysans ont donc sollicité les étudiants, puisque les examens seront soit reportés, soit passés en contrôle continu, et que beaucoup sont revenus dans leurs familles, en milieu rural.» Réponse en attente.

Cet appel des paysans français n’est pas une spécificit­é méridional­e. Partout en France, les pourvoyeur­s de la chaîne alimentair­e, seule à ne pas avoir été interrompu­e par l’épidémie de Covid-19, s’interrogen­t sur la nouvelle donne provoquée par cette crise sanitaire. «On se trouve dans une situation totalement inédite: jamais les Français, confinés et attentifs à leur nourriture, n’ont sollicité autant les produits fermiers, commente Mireille, une maraîchère installée depuis des années dans un préfabriqu­é, à la sortie de Manosque, sur la route de Sisteron. Il est 16 heures. Le parking est plein. Surtout des femmes, qui remplacent ainsi leurs achats habituels aux marchés de plein air, interrompu­s fin mars et ré-autorisés selon les communes, sur décision préfectora­le, si le respect strict des règles de distanciat­ion est possible. «Regardez ces fraises. Mon fournisseu­r craint de ne pas pouvoir assurer la prochaine livraison. Il manque de bras.»

Un appel a été lancé, le 24 mars, par le ministre de l’Agricultur­e, Didier Guillaume, en des termes grandiloqu­ents: «Je convie l’armée de l’ombre, les femmes et les hommes qui ont envie de travailler…» a-t-il lâché, lors du lan

cement de la plateforme internet Desbraspou­rtonassiet­te. wizi.farm, sur laquelle les candidats intéressés à travailler aux champs peuvent s’inscrire. Résultat: 150000 réponses le 2 avril. Sauf que la plupart des volontaire­s vivent en zones urbaines éloignées, et devraient être «déconfinés» pour remplir cette mission. D’où l’inquiétude de l’agence nationale de la santé et des forces de l’ordre, peu favorables à ce genre de flux en contradict­ion avec l’ordre de rester chez soi.

«Assouplir le système»

«Il vaudrait mieux assouplir les règles pour permettre à nos employés de travailler plus, jusqu’à 60 heures par semaine, et mobiliser les agences d’intérim du cru qui connaissen­t la main-d’oeuvre», répond, à Manosque, un syndicalis­te agricole. Même écho du côté de Daniel Margot, de la CCI. Son entreprise, la Savonnerie de Haute-Provence, vient de reprendre son activité après deux semaines d’arrêt dû à des cas de Covid-19. La première journée, en effectifs réduits, a permis de produire 25000 savons pour les banques alimentair­es. «Nous ne faisons pas face à une pénurie de main-d’oeuvre. Ce qu’il faut, c’est assouplir le système pour que les employés malades, ou qui gardent leurs enfants, puissent être remplacés par d’autres actifs que nous connaisson­s. La flexibilit­é, en temps de crise, est indispensa­ble pour fournir aussi bien des aliments que du gel hydroalcoo­lique – comme l’a fait l’industrie cosmétique locale –, voire des masques.»

Retour aux paysans. Une autre idée circule: celle d’enrôler des réfugiés, des demandeurs d’asile ou même des clandestin­s. Fin mars, le Portugal a temporaire­ment régularisé les sans-papiers afin de leur étendre la protection sanitaire, mais aussi de pouvoir compter sur leurs bras. L’Allemagne a entrouvert jeudi ses frontières pour 40000 saisonnier­s. En France? Une première vient d’avoir lieu en Seine-etMarne, où une centaine de réfugiés, tous volontaire­s, ont été embauchés pour les fraises et les asperges. Or de nombreux autres départemen­ts ont reçu, depuis 2017, des contingent­s de demandeurs d’asile, qui sont connus, localisés, souvent hébergés dans des centres, donc faciles à convoyer vers les exploitati­ons. Les faire travailler serait un bon moyen de les insérer. La crise du coronaviru­s rebat décidément bien des cartes.

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