La Biélorussie, village gaulois du football mondial
Tous les championnats sont arrêtés. Tous? Non, la petite ligue biélorusse résiste encore et toujours au confinement. Pour la fortune des détenteurs des droits de rediffusion, le bonheur des parieurs et la gloire virile du président Loukachenko
L’e-sport vous rebute et les rediffusions vous ennuient? Il reste une solution en cette triste époque où (presque) plus personne ne tape dans le ballon: le championnat de Biélorussie. Dans ce pays de 9,5 millions d’habitants, où la Suisse a ouvert une ambassade le 13 février, le confinement n’est pas à l’ordre du jour. Plusieurs sites internet proposent aux accrocs du ballon rond une familiarisation express à la première division biélorusse, objet d’un intérêt global grandissant.
En ces temps de guerre au coronavirus, BATE Borisov est présenté comme un ersatz d’Arsenal. Favori du championnat, BATE (pour les intimes) est l’acronyme d’«Usine d’équipements électroniques pour tracteurs» de la ville de Borisov. Le club, qui n’a jamais dépassé la phase de poules de la Ligue des champions de l’UEFA, a remporté 15 fois son championnat. Son challenger, le Dinamo Brest, actuellement en tête du championnat (suspense haletant), conviendrait, lui, aux supporters de Manchester City.
Les Anglo-saxons affichent un intérêt spécial pour le FC Slutsk, dû à la consonance de son nom proche d’une insulte à caractère sexuel. Prochain choc dimanche, entre Isloch (où joue le Malien de 22 ans Momo Yansane) et Neman (de Vitebsk, la ville biélorusse la plus touchée par l’épidémie).
Ces clubs jouent d’habitude devant des gradins franchement dégarnis, les Biélorusses étant plutôt fans de Manchester United, du Barça, du Real, etc. La pandémie renverse la table et les chaînes sportives câblées d’une dizaine de pays, dont la Russie, Israël et l’Inde, ont acheté les droits de rediffusion du championnat à la fédération de football de Biélorussie.
210 000 dollars pour diffuser la saison
Selon le site de paris sportifs Betting.team, la chaîne russe Match. tv, qui a déjà retransmis deux matchs, aurait versé 210000 dollars pour obtenir les droits de diffuser toute la saison en direct. La chaîne n’a pas répondu aux questions du Temps. L’industrie du pari sportif en ligne rameute également ses habitués sur les compétitions en Biélorussie.
«Il est incompréhensible que [le championnat biélorusse] continue», s’indignait mardi le secrétaire général de la Fifpro, Jonas Baer-Hoffmann, qui assure avoir reçu les plaintes de plusieurs joueurs. La Fifpro est un syndicat international de joueurs professionnels mais n’a pas d’accord avec la Biélorussie. L’inquiétude monte clairement dans les vestiaires. Cette semaine, plusieurs joueurs, dont le défenseur brésilien João William, ont publiquement suggéré que le championnat soit suspendu et certains groupes de supporters ultras ont annoncé boycotter désormais les rencontres.
«Voyez-vous des virus voler ici?»
Mais cela reviendrait à désavouer l’indéboulonnable président biélorusse, Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis vingt-six ans. Samedi dernier, ce joueur de hockey stakhanoviste est apparu à la télévision en grande tenue, tout transpirant, à peine sorti de la glace, déclarant que «le sauna et le hockey protègent du virus!». Riant sous sa moustache, il a lancé à la journaliste: «Voyez-vous des virus voler ici? Moi, non!» Dans l’espoir que son hubris contaminera le reste de la population, Loukachenko déclare «préférer mourir debout que vivre à genoux».
Depuis le début de la pandémie, le chef de l’Etat répète que les mesures radicales prises par les autres pays relèvent d’une «psychose» plus dangereuse que le virus lui-même. Officiellement, le pays ne compte que 304 cas et 4 morts du Covid-19, mais comme dans d’autres régimes autoritaires, les statistiques ne rassurent que les crédules.
D’autres nouvelles du front de l’Est. L’exotique championnat de football du Tadjikistan va démarrer comme prévu samedi, tandis que la ligue professionnelle de basketball fait jouer ses huit équipes chaque week-end. Dans ce pays très fermé d’Asie Centrale comptant 9 millions d’habitants, toujours pas un seul cas de Covid-19 à déplorer par les autorités, qui ont tout de même placé 6222 personnes en quarantaine depuis le 1er février. Signe que la situation est en train d’empirer, Douchanbé a demandé mercredi à plusieurs pays alliés – dont la Russie – des livraisons de matériel médical pour protéger sa population.
En Russie, pays où le président, Vladimir Poutine, n’a que tout récemment introduit des mesures de confinement, les compétitions sportives se sont très progressivement arrêtées à partir de la mi-mars. A cette époque, Sotchi espérait encore récupérer le Championnat du monde de hockey 2020 que la Suisse a annulé le 21 mars.
«Nous mourrons tous»
Le 14 mars, deux jours avant la suspension du championnat national de football, les 30000 supporters du Zenit de Saint-Pétersbourg déployaient une gigantesque bannière lors d’un match à domicile contre Oural: «Nous sommes tous malades du football et nous mourrons pour le Zenit», scandant pendant tout le match «nous mourrons tous».
La défiance face au virus reste largement partagée en Russie et rejoint celle envers l’Occident. Ainsi, Svetlana Khorkina, ancienne championne olympique de gymnastique (1996, 2000, 2004, n’hésite pas à présenter la pandémie comme une sanction divine liée au scandale du dopage russe. Dans un entretien accordé au site Sport Express le 24 mars, la gymnaste affirme: «Tout ceci est arrivé parce qu’il ne fallait pas vexer la Russie, ainsi que nos sportifs […] cette saleté mortelle qui s’étend dans le monde entier […] est une sorte de punition divine.»
Depuis le début de la pandémie, le chef de l’Etat répète que les mesures prises par les autres pays relèvent d’une «psychose» plus dangereuse que le virus lui-même