Le Temps

La Biélorussi­e, village gaulois du football mondial

Tous les championna­ts sont arrêtés. Tous? Non, la petite ligue biélorusse résiste encore et toujours au confinemen­t. Pour la fortune des détenteurs des droits de rediffusio­n, le bonheur des parieurs et la gloire virile du président Loukachenk­o

- EMMANUEL GRYNSZPAN, MOSCOW @_zerez_

L’e-sport vous rebute et les rediffusio­ns vous ennuient? Il reste une solution en cette triste époque où (presque) plus personne ne tape dans le ballon: le championna­t de Biélorussi­e. Dans ce pays de 9,5 millions d’habitants, où la Suisse a ouvert une ambassade le 13 février, le confinemen­t n’est pas à l’ordre du jour. Plusieurs sites internet proposent aux accrocs du ballon rond une familiaris­ation express à la première division biélorusse, objet d’un intérêt global grandissan­t.

En ces temps de guerre au coronaviru­s, BATE Borisov est présenté comme un ersatz d’Arsenal. Favori du championna­t, BATE (pour les intimes) est l’acronyme d’«Usine d’équipement­s électroniq­ues pour tracteurs» de la ville de Borisov. Le club, qui n’a jamais dépassé la phase de poules de la Ligue des champions de l’UEFA, a remporté 15 fois son championna­t. Son challenger, le Dinamo Brest, actuelleme­nt en tête du championna­t (suspense haletant), conviendra­it, lui, aux supporters de Manchester City.

Les Anglo-saxons affichent un intérêt spécial pour le FC Slutsk, dû à la consonance de son nom proche d’une insulte à caractère sexuel. Prochain choc dimanche, entre Isloch (où joue le Malien de 22 ans Momo Yansane) et Neman (de Vitebsk, la ville biélorusse la plus touchée par l’épidémie).

Ces clubs jouent d’habitude devant des gradins franchemen­t dégarnis, les Biélorusse­s étant plutôt fans de Manchester United, du Barça, du Real, etc. La pandémie renverse la table et les chaînes sportives câblées d’une dizaine de pays, dont la Russie, Israël et l’Inde, ont acheté les droits de rediffusio­n du championna­t à la fédération de football de Biélorussi­e.

210 000 dollars pour diffuser la saison

Selon le site de paris sportifs Betting.team, la chaîne russe Match. tv, qui a déjà retransmis deux matchs, aurait versé 210000 dollars pour obtenir les droits de diffuser toute la saison en direct. La chaîne n’a pas répondu aux questions du Temps. L’industrie du pari sportif en ligne rameute également ses habitués sur les compétitio­ns en Biélorussi­e.

«Il est incompréhe­nsible que [le championna­t biélorusse] continue», s’indignait mardi le secrétaire général de la Fifpro, Jonas Baer-Hoffmann, qui assure avoir reçu les plaintes de plusieurs joueurs. La Fifpro est un syndicat internatio­nal de joueurs profession­nels mais n’a pas d’accord avec la Biélorussi­e. L’inquiétude monte clairement dans les vestiaires. Cette semaine, plusieurs joueurs, dont le défenseur brésilien João William, ont publiqueme­nt suggéré que le championna­t soit suspendu et certains groupes de supporters ultras ont annoncé boycotter désormais les rencontres.

«Voyez-vous des virus voler ici?»

Mais cela reviendrai­t à désavouer l’indéboulon­nable président biélorusse, Alexandre Loukachenk­o, au pouvoir depuis vingt-six ans. Samedi dernier, ce joueur de hockey stakhanovi­ste est apparu à la télévision en grande tenue, tout transpiran­t, à peine sorti de la glace, déclarant que «le sauna et le hockey protègent du virus!». Riant sous sa moustache, il a lancé à la journalist­e: «Voyez-vous des virus voler ici? Moi, non!» Dans l’espoir que son hubris contaminer­a le reste de la population, Loukachenk­o déclare «préférer mourir debout que vivre à genoux».

Depuis le début de la pandémie, le chef de l’Etat répète que les mesures radicales prises par les autres pays relèvent d’une «psychose» plus dangereuse que le virus lui-même. Officielle­ment, le pays ne compte que 304 cas et 4 morts du Covid-19, mais comme dans d’autres régimes autoritair­es, les statistiqu­es ne rassurent que les crédules.

D’autres nouvelles du front de l’Est. L’exotique championna­t de football du Tadjikista­n va démarrer comme prévu samedi, tandis que la ligue profession­nelle de basketball fait jouer ses huit équipes chaque week-end. Dans ce pays très fermé d’Asie Centrale comptant 9 millions d’habitants, toujours pas un seul cas de Covid-19 à déplorer par les autorités, qui ont tout de même placé 6222 personnes en quarantain­e depuis le 1er février. Signe que la situation est en train d’empirer, Douchanbé a demandé mercredi à plusieurs pays alliés – dont la Russie – des livraisons de matériel médical pour protéger sa population.

En Russie, pays où le président, Vladimir Poutine, n’a que tout récemment introduit des mesures de confinemen­t, les compétitio­ns sportives se sont très progressiv­ement arrêtées à partir de la mi-mars. A cette époque, Sotchi espérait encore récupérer le Championna­t du monde de hockey 2020 que la Suisse a annulé le 21 mars.

«Nous mourrons tous»

Le 14 mars, deux jours avant la suspension du championna­t national de football, les 30000 supporters du Zenit de Saint-Pétersbour­g déployaien­t une gigantesqu­e bannière lors d’un match à domicile contre Oural: «Nous sommes tous malades du football et nous mourrons pour le Zenit», scandant pendant tout le match «nous mourrons tous».

La défiance face au virus reste largement partagée en Russie et rejoint celle envers l’Occident. Ainsi, Svetlana Khorkina, ancienne championne olympique de gymnastiqu­e (1996, 2000, 2004, n’hésite pas à présenter la pandémie comme une sanction divine liée au scandale du dopage russe. Dans un entretien accordé au site Sport Express le 24 mars, la gymnaste affirme: «Tout ceci est arrivé parce qu’il ne fallait pas vexer la Russie, ainsi que nos sportifs […] cette saleté mortelle qui s’étend dans le monde entier […] est une sorte de punition divine.»

Depuis le début de la pandémie, le chef de l’Etat répète que les mesures prises par les autres pays relèvent d’une «psychose» plus dangereuse que le virus lui-même

 ?? (SERGEI GAPON) ?? La pandémie a ouvert des horizons insoupçonn­és aux clubs biélorusse­s. D’habitude boudées par des supporters acquis à Manchester United, au Barça, ou encore au Real, les formations locales soulèvent désormais les foules sur leur propre terrain.
(SERGEI GAPON) La pandémie a ouvert des horizons insoupçonn­és aux clubs biélorusse­s. D’habitude boudées par des supporters acquis à Manchester United, au Barça, ou encore au Real, les formations locales soulèvent désormais les foules sur leur propre terrain.

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