Le Temps

JOY HARJO OU L’ESPRIT DE POÉSIE

- JEAN-FRANÇOIS SCHWAB

Née d’un père cherokee et d’une mère creek, l’auteure de «Crazy Brave» est pour la première fois traduite en français. Dans ce court texte, elle raconte ses douleurs et celles des siens. Une quête de paix au fil des mots

Joy Harjo a été couronnée en septembre dernier Poet Laureate des Etats-Unis, poste honorifiqu­e de poète officiel attribué pour une année par la Bibliothèq­ue du Congrès américain. C'est la première fois qu'un poète amérindien reçoit cette distinctio­n. Née en 1951 à Tulsa en Oklahoma d'un père cherokee et d'une mère creek, Joy Harjo a déclaré partager cet honneur «avec les ancêtres et les enseignant­s qui m'ont inspiré l'amour de la poésie, qui m'ont enseigné que les mots sont puissants et peuvent changer les choses lorsque la compréhens­ion semble impossible, et comment le temps et l'intemporal­ité peuvent vivre ensemble dans un poème». Auteure de dix recueils de poésie, elle est aussi chanteuse, saxophonis­te, performeus­e, plasticien­ne et enseignant­e dans différents programmes de creative

writing aux Etats-Unis.

CRISES DE PANIQUE

Si sa poésie est encore peu connue en Europe, les Editions Globe ont pris le pari d'introduire la poétesse au public francophon­e avec la traduction d'un court texte autobiogra­phique, Crazy Brave, des Mémoires parus en 2012 aux Etats-Unis. Un livre incandesce­nt traversé de bout en bout par un «esprit de poésie». Il raconte le parcours tumultueux d'une Amérindien­ne «follement courageuse» («So brave you're crazy», traduction en creek de son nom, Harjo) qui a longtemps lutté pour trouver sa place dans un pays où les «traumas liés à la colonisati­on et la déshumanis­ation» des nations indiennes demeurent à vif. Sans compter une vie familiale et amoureuse marquée par la maltraitan­ce, les abus et l'alcoolisme. «J'ai bu pour annihiler ma vie», dit-elle.

Le chant, le dessin, la photograph­ie, le théâtre et l'écriture accompagne­nt Joy Harjo et l'aident à survivre dans ce long «voyage solitaire», parsemé de violentes crises de panique. «J'étais de feu et j'étais troublée par le feu de mon corps. Mon esprit trouvait refuge dans le royaume de l'eau.» A l'adolescenc­e, elle vit une expérience libératric­e, un «voyage collectif» cette fois, avec d'autres «PeauxRouge­s», comme elle l'écrit, à l'Institute of American Indian Arts à Sante Fe au Nouveau-Mexique. «Mon esprit a pu s'apaiser et se reconstrui­re dans les feux de la créativité.»

Plus tard, à l'université, elle a une révélation salvatrice grâce à une rencontre: «L'esprit de poésie est venu à moi» et «j'ai suivi la poésie». Jeune adulte, elle prend très activement part au mouvement de résistance et de renouveau de la jeunesse amérindien­ne des années 1970, dans le sillage du mouvement afro-américain des droits civiques.

SPIRITUALI­TÉ ANCESTRALE

Longtemps déboussolé­e, peu épargnée par une vie marginalis­ée, Joy Harjo a fait confiance aux quatre points cardinaux pour écrire ses Mémoires, récit d'une vocation. Quatre chapitres pour quatre directions: «L'est, la direction des commenceme­nts», «Au nord, les maîtres des rudes leçons de vie», «L'ouest, la direction des dénouement­s» et «Le sud délivre». Descendant­e d'une lignée de guerriers et de chefs indiens déportés en Oklahoma dans les années 1830, la poétesse a toujours cru en sa mission de «faire vivre des voix, des chants et des histoires du royaume des ancêtres».

Son livre est un chant inspiré et métaphoriq­ue, dans lequel la poésie est une arme de beauté contre la violence, une mise en mots des silences et des tabous de l'histoire amérindien­ne. Comme une main amicale qui se tend vers l'Autre. Joy Harjo applique avec dignité l'enseigneme­nt de ses ancêtres: sagesse et compassion valent mieux que colère, honte et amertume. «J'ai laissé les pensées qui pardonnent, qui me pardonnent et qui pardonnent aux autres dans cette histoire, suivre les vagues de l'océan en prière.» Après la folie et le courage, elle trouve enfin l'espoir et l'apaisement, en se réappropri­ant une spirituali­té ancestrale. «L'esprit de poésie» vaut toutes les victoires.

Son livre est un chant inspiré […], dans lequel la poésie est une arme de beauté contre la violence

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Globe Pages | 176
Genre | Récit Auteur | Joy Harjo Titre | Crazy Brave Traduction | De l’anglais par Nelcya Delanoë et Joëlle Rostkowski Editeur | Editions Globe Pages | 176

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