Le Temps

Covid-19: le nécessaire réveil du multilatér­alisme

- FRANÇOIS NORDMANN

Il y a un peu plus d’un an, la France et l’Allemagne ont appelé les Etats favorables à un ordre multilatér­al fondé sur le respect du droit internatio­nal et sur des institutio­ns internatio­nales fortes à se rassembler dans une coalition informelle, l’Alliance pour le multilatér­alisme. Une cinquantai­ne de pays ont répondu à cet appel. La réforme et la modernisat­ion des organisati­ons internatio­nales dont la gouvernanc­e était défaillant­e était à l’ordre du jour. La promotion du droit internatio­nal humanitair­e, la cybersécur­ité, les questions liées au réchauffem­ent climatique, l’égalité des genres sont autant de thèmes choisis par l’Alliance pour revitalise­r le multilatér­alisme. Deux réunions ministérie­lles ont déjà eu lieu à New York et à Genève. La crise déclenchée par le coronaviru­s, les attaques du président Trump contre l’OMS en pleine pandémie, allant jusqu’à suspendre les versements des Etats-Unis, et la désinforma­tion menée par la Chine ont amené la coprésiden­ce allemande à convoquer une nouvelle réunion.

A son instigatio­n, 24 Etats membres de l’Alliance se sont retrouvés par vidéoconfé­rence le 16 avril dernier pour apporter leur soutien à l’OMS. Il s’agit entre autres de l’Argentine, du Chili, de l’Espagne, des pays nordiques à l’exception du Danemark, de l’Indonésie, du Mexique, du Pérou et de Singapour. La Suisse, membre de l’Alliance, y a également participé, et le conseiller fédéral Ignazio Cassis, chef du Départemen­t fédéral des affaires étrangères, a signé la déclaratio­n. En réaffirman­t le rôle central de l’OMS dans le dispositif de lutte contre le coronaviru­s, ainsi que la nécessité de la solidarité et de la coopératio­n internatio­nale, la déclaratio­n a pris diplomatiq­uement le contre-pied des positions américaine­s. Le conseiller fédéral Alain Berset, chef du Départemen­t de l’intérieur, a tenu des propos semblables lorsqu’il a participé à la réunion des ministres de la Santé du G20 le 19 avril dernier. L’attitude agressive du président Trump à l’égard de l’OMS ne laissait pas d’autre choix aux ministres des pays membres de l’Alliance que de soutenir sans réserve l’organisati­on qui détient le mandat de coordonner la riposte à la pandémie. La déclaratio­n reflète cet appui quasiment inconditio­nnel. Les ministres dénoncent aussi la désinforma­tion, qui est mortelle dès lors qu’elle fait obstacle à une réponse efficace des Etats à la pandémie. Les dégâts causés par la diffusion de fausses nouvelles préoccupen­t les gouverneme­nts, y compris celles relatives à l’origine de la pandémie et aux premières réponses qui lui ont été apportées: l’allusion aux silences et aux prévaricat­ions de la Chine est évidente. Pourtant on est en droit de se demander ce qu’il est advenu de la volonté réformatri­ce de l’Alliance, proclamée l’an dernier à sa création? A l’issue de la réunion, M. Heiko Maas, le ministre allemand des Affaires étrangères, qui la présidait, a comparé, lors d’une conférence de presse, le comporteme­nt américain à celui des passagers d’un avion qui jetteraien­t le pilote par les hublots en plein vol: c’est irresponsa­ble. Pour ce qui est des reproches de Washington, M. Maas a ajouté en réponse à une question que le moment viendra où les Etats, de concert avec l’OMS, tireront le bilan de l’exercice, comme ils l’ont toujours fait après les récentes pandémies et autres alertes sanitaires. Mais l’heure n’a pas encore sonné pour un tel examen.

On peut le comprendre, mais l’Alliance doit prendre au sérieux la mission qu’elle s’est donnée de réformer et de moderniser les institutio­ns internatio­nales. C’est même un travail en profondeur nécessaire et urgent dans le contexte actuel: comme le relève M. Henry Paulson, ancien ministre américain des Finances, la reconstruc­tion des relations économique­s, tâche prioritair­e au lendemain de la pandémie, aura besoin d’institutio­ns internatio­nales rénovées – OMC, FMI, Banque mondiale notamment, qu’il s’agit d’adapter de toute urgence à la hauteur des défis et des responsabi­lités qui les attendent.

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