Le Temps

Supermarch­és et détaillant­s: l’impossible équité

Les petits détaillant­s sont fâchés: dès le 27 avril, la grande distributi­on pourra élargir sa palette de produits alors qu’ils doivent patienter jusqu’au 11 mai. La situation est tendue

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

La reprise de certaines activités commercial­es, lundi prochain, se fait dans la confusion. Qui aura le droit de vendre quoi? La question agite les commerçant­s

■ Le Conseil fédéral avait, dans un premier temps, annoncé que les magasins d’alimentati­on qui vendent d’autres articles seraient autorisés à ouvrir l’entier de leur surface

■ Cette annonce a déclenché une vague de protestati­ons de la part des commerçant­s privés. Depuis, le gouverneme­nt rétropédal­e afin d’atteindre plus d’égalité de traitement

La reprise de certaines activités commercial­es le lundi 27 avril prochain se fait dans la confusion. Dans son annonce du 16 avril, le Conseil fédéral indiquait noir sur blanc que «les magasins d’alimentati­on qui proposent d’autres marchandis­es en plus des biens de consommati­on courante pourront rouvrir toute leur surface de vente». En d’autres termes, les succursale­s Coop, Migros et autres pourraient, dès le 27 avril, offrir à leurs clients tout l’assortimen­t de produits qui se trouvent dans le même magasin que les produits alimentair­es. Les détaillant­s spécialisé­s devront, eux, patienter jusqu’au 11 mai.

«Aucune solution n’est équitable pour tout le monde»

PATRICK MATHYS, CHEF DE LA SECTION GESTION DE CRISE À L’OFSP

Cette annonce a déclenché une vague de protestati­ons de la part des commerçant­s privés. L’associatio­n faîtière Commerce Suisse, qui regroupe 4000 petites entreprise­s, a dénoncé une distorsion de concurrenc­e. L’Union suisse des arts et métiers (USAM) s’est fendue d’une lettre ouverte dans laquelle elle dénonce un «camouflet» infligé aux petits commerçant­s qui ont dû fermer boutique le 17 mars. L’USAM qualifie le «traitement préférenti­el accordé par l’Etat aux grands distribute­urs» d’«arbitraire».

Rétropédal­age à grand braquet

Curieuseme­nt, depuis la communicat­ion du 16 avril, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) ne cesse de rétropédal­er. Dès le lendemain, le délégué au Covid-19, Daniel Koch, a relativisé l’annonce de la veille en déclarant que les grands distribute­urs ne seraient autorisés à vendre que «quelques produits» supplément­aires et qu’il n’y aurait pas «de grosse distorsion de concurrenc­e».

Lundi, le ministre de l’Intérieur Alain Berset, en déplacemen­t aux Grisons, a précisé qu’«il n’était pas question de rouvrir complèteme­nt les grandes surfaces, mais qu’on allait seulement élargir l’assortimen­t autorisé à la vente». «A titre d’exemple: le grand magasin Loeb ne pourra pas rouvrir ses cinq étages», a assuré en parallèle Patrick Mathys, chef de la section gestion de crise à l’OFSP.

La stratégie des lacets de souliers

La grande distributi­on ne pourra donc pas rouvrir l’entier de ses surfaces de vente, contrairem­ent à ce qui a été compris jeudi dernier. Il n’empêche: elle pourra proposer à sa clientèle davantage d’articles que depuis le 16 mars. Lesquels? Contactés, les porte-parole de Migros et Coop ne se prononcent pas. Ils attendent les directives du Conseil fédéral. Celui-ci va une nouvelle fois réviser l’ordonnance sur le Covid-19 ce mercredi et accompagne­ra ses décisions d’un rapport explicatif. «Tout ce que nous savons, c’est que nous pourrons rouvrir nos magasins Do It+Garden dès lundi prochain, une décision que nous saluons», se contente de commenter Tristan Cerf, porte-parole de Migros.

Aux Grisons, Alain Berset a donné un exemple: les lacets de souliers. Ils devraient faire partie de l’assortimen­t nouvelleme­nt commercial­isable. La vente de sous-vêtements devrait être formelleme­nt réautorisé­e, mais peutêtre pas celle des vêtements. Un expert du Seco a pour sa part évoqué les produits cosmétique­s qui n’ont pas été considérés comme des biens de première nécessité jusqu’à maintenant.

Dans son ordonnance du 16 mars, le Conseil fédéral a fixé comme principe que les magasins d’alimentati­on pouvaient vendre des «biens de consommati­on courante». Le rapport explicatif citait plusieurs exemples: presse, tabac, cigarettes électroniq­ues, articles d’hygiène et de papeterie. Le

Conseil fédéral a ajouté récemment les lunettes de lecture et de soleil ainsi que les articles de protection solaire. Toutefois, les polices cantonales du commerce ont interprété ces directives de manière différente, de sorte que certains articles étaient accessible­s dans certains cantons ou succursale­s mais pas dans d’autres.

Lundi prochain, la palette de produits disponible­s sera ainsi élargie. Le Conseil fédéral sait qu’il fera forcément des mécontents et que sa décision restera arbitraire et contestée. Les experts de la Confédérat­ion l’ont admis: «Aucune solution n’est équitable pour tout le monde», a reconnu lundi Patrick Mathys. Les commission­s parlementa­ires s’en sont d’ailleurs inquiétées. Mardi, celle de l’économie du Conseil des Etats a expresséme­nt demandé au Conseil fédéral de «corriger» la «distorsion importante de la concurrenc­e» que représente l’élargissem­ent de la palette de marchandis­es autorisées à la vente dans les grandes surfaces alors que les PME du commerce de détail doivent patienter jusqu’au 11 mai. Samedi dernier, la Commission de santé publique et de sécurité sociale (CSSS) du Conseil national a émis une recommanda­tion similaire.

Autoriser tous les commerces?

Pour les organisati­ons faîtières, la solution la plus simple serait d’autoriser tous les commerces à rouvrir le 27 avril. Commerce Suisse et l’USAM le requièrent expresséme­nt. «Les PME du commerce de détail doivent être autorisées à ouvrir leurs établissem­ents le 27 avril, en conformité naturellem­ent avec les exigences de la politique sanitaire», demandent Jean-François Rime et Hans-Ulrich Bigler, respective­ment président et directeur de l’USAM, dans la lettre ouverte adressée au Conseil fédéral.

Le gouverneme­nt a toujours mis en avant l’argument de la sécurité sanitaire pour justifier son plan de sortie de crise par étapes. Il a estimé qu’il était juste d’autoriser les grandes surfaces, qui ont mis au point leur propre dispositif de protection sanitaire, à élargir la palette des produits admis à la vente. Il ne comptait autoriser les autres commerces à relancer leurs affaires que dans un deuxième temps, une fois que les concepts de protection sanitaire auront été validés. La question est désormais de savoir si la stratégie des lacets de souliers d’Alain Berset ne va pas se prendre les pieds dans le tapis.

 ?? (PETER KLAUNZER/KEYSTONE) ?? L’Union suisse des arts et métiers (USAM) s’est fendue d’une lettre ouverte dans laquelle elle dénonce un «camouflet» infligé aux petits commerçant­s qui ont dû fermer boutique le 17 mars.
(PETER KLAUNZER/KEYSTONE) L’Union suisse des arts et métiers (USAM) s’est fendue d’une lettre ouverte dans laquelle elle dénonce un «camouflet» infligé aux petits commerçant­s qui ont dû fermer boutique le 17 mars.

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