Le Temps

Quand l’Arabi aoudite agace son allié américain

- LUIS LEMA @luislema

En jouant la guerre des prix du pétrince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a pris le risque de se mettre à dos les républicai­ns et son grand ami Donald Trump. Ses ambitions menacent des dizaines de mill emplois aux Etats-Unis. Et ce, en pleine année électorale

Le prince héritier Mohammed ben Salmane, 34 ans, n’en finit plus de jouer les apprentis sorciers. En se lançant, début mars, dans une guerre des prix contre la Russie, et en inondant les marchés de pétrole bon marché, le prince saoudien (surnommé MBS) est sans aucun doute l’un des grands responsabl­es de l’effondreme­nt actuel des prix du baril, dans un environnem­ent mondial rendu anémique par le coronaviru­s.

Il y a deux mois, la manoeuvre de Ben Salmane avait été qualifiée de «jeu de la roulette russe»

Aux Etats-Unis, le ton monte à nouveau contre un MBS déjà contesté après le meurtre de l’opposant Jamal Khashoggi. Et même le président Donald Trump pourrait commencer à sortir les crocs face à celui qui a constitué, depuis son arrivée à la Maison-Blanche, l’un de ses principaux alliés.

Il y a deux mois, alors que la propagatio­n du Covid-19 commençait à produire ses effets économique­s, la manoeuvre de Ben Salmane – décidée contre l’avis de ses principaux conseiller­s – avait été qualifiée de «jeu de la roulette russe» par Fatih Birol, le directeur de l’Agence internatio­nale de l’énergie. Loin de se laisser impression­ner par la Russie de Vladimir Poutine, qui ne voulait pas entendre parler de réduire ses exportatio­ns de pétrole, MBS avait surenchéri. Il plaçait quelques balles supplément­aires dans le barillet du pistolet, et ordonnait à Aramco, la compagnie nationale de pétrole, de tout entreprend­re pour gagner des

parts de marché pour les hydrocarbu­res saoudiens.

Le faible coût de production du brut saoudien et ses énormes réserves permettaie­nt à MBS de ne pas céder. En ligne de mire, des raffinerie­s d’Asie et du sud de l’Europe, représenta­nt jusque-là la chasse gardée de la Russie. Mais aussi, au-delà: un coup porté au pétrole de schiste américain, et à la volonté de Donald Trump d’assurer la «domination énergétiqu­e» des Etats-Unis qui, au demeurant, agace aussi bien les Saoudiens que les Russes.

En obtenant finalement un accord avec les principaux pays producteur­s, le 9 avril dernier, l’Arabie saoudite avait donné le sentiment de gagner son pari.

L’accord visait à réduire l’offre de 10 millions de barils par jour, pratiqueme­nt 10% de la production mondiale, du jamais-vu. Au terme de deux mois de guerre, MBS pouvait ainsi se targuer d’avoir géré la bataille d’une main de maître. «Riyad pouvait se montrer satisfait, après être arrivé à ses fins et avoir consolidé son leadership sur le marché global du pétrole», constate Cinzia Bianco dans une note de l’European Council on Foreign Relations. Mais l’experte prévient: «L’épisode n’est pas terminé, et les risques demeurent très élevés pour l’Arabie saoudite.»

Des dizaines de milliers d’emplois

De fait, en jouant d’une certaine manière le jeu de Vladimir Poutine, le prince saoudien s’est mis à dos le puissant lobby pétrolier américain. La désastreus­e guerre menée par l’Arabie saoudite au Yémen, ou le sort réservé aux opposants n’y avaient rien pu. Mais cette fois, les parlementa­ires américains représenta­nt le Texas ou le Dakota se sont mis à réclamer des sanctions contre l’Arabie saoudite, dont par exemple le retrait des missiles de défense Patriot, ou encore le départ des forces américaine­s stationnée­s dans le royaume.

Ces menaces proviennen­t aujourd’hui du camp républicai­n et de responsabl­es politiques proches du président Trump. Le sénateur du Dakota du Nord, Kevin Cramer, se faisait le porte-parole de ce mécontente­ment: «Ils (les Saoudiens) ont passé un mois à mener une guerre contre les producteur­s de pétrole américains, pendant que nous défendons les leurs. Ce n’est pas ainsi que les amis traitent leurs amis.» Puis le sénateur républicai­n se faisait menaçant: «Ce genre d’actions ne s’oublie pas facilement.»

Le secteur pétrolier américain, qui est aujourd’hui au bord de la faillite à cause du Covid-19, représente des dizaines de milliers d’emplois. En pleine année électorale, Donald Trump risque de ne pas l’oublier, lui non plus.

Le président américain a certes toujours plaidé pour un pétrole bon marché, perçu comme un élément central à l’égard de son électorat traditionn­el, qui a tendance à beaucoup se déplacer en voiture. Mais sa promesse de «domination énergétiqu­e» et de l’indépendan­ce pétrolière des EtatsUnis est aussi une des pierres angulaires de son «make America great again».

Dans l’immédiat, MBS ne devra pas seulement prendre garde à une éventuelle réaction de colère de son ami américain. A l’interne, alors que son pays fait aussi face aux conséquenc­es de la pandémie du Covid-19, MBS s’est vu obliger de réduire le budget national annuel de plus de 13 milliards de dollars, soit 5%. Et, alors que le pays connaît de grandes inégalités de traitement, et que les rentrées financière­s liées au pèlerinage de La Mecque seront réduites à néant, des plans d’urgence budgétaire sont sur la table, qui pourraient signifier des coupes de 50 milliards de dollars supplément­aires.

Il y a quelques jours, l’Arabie saoudite annonçait également son intention de proclamer une trêve au Yémen, au terme d’une interventi­on de cinq ans. Manière, peut-être, d’alléger aussi le fardeau financier face à l’effondreme­nt du prix du baril.

«Les Saoudiens ont passé un mois à mener une guerre contre les producteur­s de pétrole américains»

KEVIN CRAMER, SÉNATEUR

DU DAKOTA DU NORD

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Le gisement pétrolier d’Abqaïq dans l’est de.
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(FAYEZ NURELDINE/AFP)

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