Le Temps

En Suède, une stratégie tout en nuances

- FRÉDÉRIC FAUX, STOCKHOLM

Malgré un niveau de mortalité supérieur à celui de ses voisins, le royaume scandinave continue de privilégie­r le «confinemen­t» volontaire

Ce sont des images qui font le tour du monde depuis des semaines, celles des habitants de Stockholm qui prennent le soleil à la terrasse des cafés, font du shopping chez Ikea, ou leur gymnastiqu­e dans les parcs. Un spectacle qui continue de troubler Elodie, originaire de Nyon et installée dans la capitale suédoise depuis deux ans: «Quand je parle à mes amis restés en Suisse, les réactions oscillent entre l’envie et la peur pour moi… Mes parents pensent qu’ici on n’est vraiment pas prudents.»

Pas comme avant

La Suède a choisi un «confinemen­t» volontaire, «mais il est erroné de dire que la vie y continue comme avant, a martelé vendredi dernier Ann Linde, ministre des Affaires étrangères. Beaucoup de Suédois ont arrêté de voyager, des entreprise­s font faillite, le chômage explose… Nous sommes très affectés.» Le gouverneme­nt a imposé certaines règles – pas de visites dans les maisons de retraite, pas de rassemblem­ents de plus de 50 personnes – et demande aux Suédois de rester chez eux s’ils sont malades ou âgés de plus de 70 ans, de privilégie­r le télétravai­l, de respecter les distances sanitaires. Une nouvelle loi votée le 16 avril lui permet aussi de prendre des mesures plus drastiques sans consulter le parlement.

Mark, qui est venu boire un verre en terrasse sur Rörstrandg­atan, a déjà changé ses habitudes: il ne fréquente plus son club de sport, évite les bus, et n’a pas pu s’asseoir à la même table que sa fiancée, dont il est séparé par un cordon. «Si on veut que les pays et les restaurant­s continuent à vivre, c’est normal de respecter les recommanda­tions officielle­s», estime-t-il. Dans les écoles, aussi, d’autres comporteme­nts prévalent. «Les parents laissent leurs enfants à l’extérieur, les salles de réunion et les couloirs sont utilisés pour les activités afin de séparer les groupes, et c’est nous qui faisons le service à la cantine», précise Marcus, directeur adjoint de la Essingesko­la, 275 élèves pour 18 professeur­s. Au début de l’épidémie, la moitié des parents avait choisi de garder leur progénitur­e à la maison, mais aujourd’hui les classes sont presque complètes. Quant aux enseignant­s d’abord inquiets, ils ont repris leur routine habituelle, constatant que les malades n’étaient pas surreprése­ntés dans leurs rangs.

La question éducative illustre bien l’approche très différenci­ée adoptée par la Suède. Son agence de santé a estimé très tôt que les enfants n’étaient pas le moteur principal de l’épidémie, leur taux d’infection étant très réduit, comme leur charge virale. D’ailleurs, sur près de 15 000 malades diagnostiq­ués en Suède, seuls 266 ont moins de 20 ans. Par mesure de précaution, les autorités ont cependant fermé lycées et université­s, leurs étudiants étant plus présents dans les transports en commun, et plus aptes à suivre des cours à distance. «Plutôt que de paralyser la société d’un seul coup, nous agissons pas à pas, explique Anders Tegnell, épidémiolo­giste en chef. On a mis fin aux soirées d’après-ski, avant de fermer les stations; on s’est occupé des rassemblem­ents, puis des restaurant­s, et aujourd’hui du monde sportif, en interdisan­t les compétitio­ns pour adultes. Prendre des mesures progressiv­es est essentiel pour garder la confiance de la population.»

La potion suédoise, moins amère, estelle cependant efficace? Les autorités se félicitent de voir que les comporteme­nts ont changé: 86% des Suédois se lavent les mains plus souvent, 69% ont réduit leur activité sociale et, lors des vacances de Pâques, les trajets hors de Stockholm ont été réduits… de 90%. Les autres pays nordiques, qui ont choisi un confinemen­t plus autoritair­e, font cependant mieux, comme le dénoncent régulièrem­ent dans la presse d’autres scientifiq­ues suédois.

Avec 1765 décès ce mardi, le royaume nordique affichait un taux de mortalité de 175 pour 1 million d’habitants, contre 63 au Danemark, 34 en Norvège, et même 18 en Finlande. Maladie de la mondialisa­tion, l’épidémie touche plus fortement la Suède, moteur économique de la région. Et puis, il y a cet échec, reconnu sans détour: le coronaviru­s a pris une ampleur inattendue dans les maisons de retraite, d’où viennent un tiers des morts dans la région de Stockholm.

Une vision à long terme

Ces chiffres, cependant, sont bien meilleurs que ceux de la France (taux de mortalité de 310 pour 1 million) et de l’Espagne (455), deux pays qui ont multiplié les restrictio­ns depuis des semaines. Le service de santé suédois, sous pression, n’a jamais été débordé, et l’avancée de l’épidémie a atteint depuis quelques jours un «plateau», comme dans d’autres pays européens. Anders Tegnell, qui se dit «optimiste», revendique une vision à long terme. Confiner permet d’éviter la submersion des hôpitaux, mais ne fait pas disparaîtr­e l’épidémie, un objectif que seuls peuvent atteindre un vaccin ou l’immunité collective. Ne pas confiner, en revanche, évite des drames psychologi­ques, économique­s, sociaux, éducatifs, tout en responsabi­lisant la population pour les années à venir. Car il l’assure, «nous allons tous devoir vivre avec le virus, pour longtemps».

«Prendre des mesures progressiv­es est essentiel pour garder la confiance de la population»

ANDERS TEGNELL, ÉPIDÉMIOLO­GISTE

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(ANDERS WIKLUND) Une terrasse de Stockholm le 20 avril dernier.

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