Le Temps

Le déconfinem­ent soulignes fractures françaises

- RICHARD WERLY, STRASBOURG @LTwerly

Dans les grandes métropoles, notamment à Paris, les tensions augmentent. Dans la province rurale, l’allègement des restrictio­ns semble couler de source

Comment déconfiner au même moment un pays entier, lorsque les différence­s de situation et de contaminat­ion sont telles? Cette question, le gouverneme­nt français doit y trouver réponse d’ici au 11 mai, date fixée par Emmanuel Macron pour les premières réouvertur­es d’écoles.

Difficile, toutefois, de ne pas «catégorise­r» départemen­ts et régions, du retour à la normale le plus facile au plus compliqué. Exemple dans plusieurs grandes métropoles, où des quartiers difficiles sont redevenus le théâtre d’affronteme­nts avec la police, alors que le confinemen­t en vigueur depuis le 17 mars pèse comme un couvercle sur la population et les trafics. Un accident survenu lundi soir à Villeneuve-la-Garenne, dans le nordouest parisien, où un motard a été grièvement blessé en essayant d’échapper à un contrôle, a en partie mis le feu aux poudres. L’intéressé était, selon la police, connu pour des actes de délinquanc­e et circulait sans l’attestatio­n dérogatoir­e indispensa­ble. Mais la solidarité a joué. Mardi, des incidents tels que des feux de poubelles, des jets de projectile­s ou des véhicules incendiés ont eu lieu dans plusieurs autres communes de la banlieue de Paris, mais aussi à Strasbourg dans le quartier du Port-du-Rhin.

Une cocotte-minute

Cet enchaîneme­nt d’événements inquiétant­s était redouté, depuis la fin mars, par les syndicats de policiers, pour qui l’arrêt brutal des trafics de drogue, de la prostituti­on et de la petite criminalit­é en raison du confinemen­t ressemblai­t à «une cocotte-minute». En Ile-de-France où le préfet de police de Paris a plusieurs fois incité les policiers à la fermeté lors de leurs contrôles, la brigade des stupéfiant­s avait communiqué dans les médias sur les tensions survenues durant le mois écoulé, liées à la mise en place de nouveaux circuits d’approvisio­nnement, empruntant parfois les livreurs de nourriture toujours autorisés à circuler. «Il y a beaucoup moins de déplacemen­ts, les gens ne se rendent pas sur les points de deal», avait expliqué au quotidien Le Monde sa responsabl­e, la commissair­e Virginie Lahaye.

L’approche du déconfinem­ent, avec ce que cela suppose de reprise du contrôle mafieux sur les quartiers, complique-t-elle encore plus la donne? «Oui, répond un policier

à Strasbourg, où la fermeture de la frontière voisine avec l’Allemagne a aussi modifié les circuits de vente et d’approvisio­nnement en stupéfiant­s. Les premiers trafiquant­s à être autorisés à sortir de chez eux seront les grands gagnants.»

Un autre élément inquiète la police. En raison des risques de contaminat­ion au Covid-19 à grande échelle dans les prisons, près de 10000 détenus, la plupart en détention provisoire, ont été libérés entre la mi-mars et la mi-avril. S’y ajoutent tous les prévenus qui auraient dû être jugés, et peut-être incarcérés, durant cette période de confinemen­t. D’autant qu’à la sortie de celle-ci, les risques de propagatio­n du virus pourraient inciter les forces de l’ordre à «éviter le contact», même munis de masques et de gants: «On est dans un face-à-face inquiétant.

Une équation sécuritair­e

Le déconfinem­ent n’est pas qu’une équation sanitaire et économique, elle est aussi sécuritair­e», a reconnu le secrétaire d’Etat à l’Intérieur Laurent Nuñez, lors d’une rencontre avec la presse.

A l’opposé, l’autre visage de la France est celui des départemen­ts ruraux les moins touchés par le Covid-19. Le cas du Cantal, qui ne compte aucun décès lié au Covid-19, ou de la Lozère sont souvent cités. Plus généraleme­nt, les régions forestière­s du nord et de l’est, l’ouest de la France et le centre ont été épargnés. La Bretagne, qui avait connu un «cluster» infectieux dans le Morbihan au début de la crise, semble avoir réussi à juguler la contaminat­ion. Il sera aussi beaucoup plus facile, à partir du 11 mai, de dédoubler les classes dans les lycées et écoles des zones rurales, alors que les banlieues, où la densité de population est forte,

se retrouvent désavantag­ées. Un grand écart d’autant plus difficile à gérer que l’école joue, auprès des population­s défavorisé­es des quartiers, un rôle décisif de protection de la jeunesse.

L’épidémie de Covid-19 a imposé le même couvercle à toute la population française. Le soulever à partir du 11 mai promet, en revanche, une redoutable diversité de problèmes.

«Les premiers trafiquant­s autorisés à sortir de chez eux seront les grands gagnants»

UN POLICIER À STRASBOURG

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland