Le Temps

Benyamin Netanyahou assure sa survie politique

- CLOTHILDE MRAFFKO, JÉRUSALEM @CMraffko

Le premier ministre israélien a signé avec son rival Benny Gantz un accord de gouverneme­nt qui l’autorise à rester à son poste pendant un an et demi supplément­aire

Pendant presque un an et demi, ils se sont invectivés lors de trois campagnes électorale­s sans merci, laissant Israël englué dans l’impasse politique. Mais face à la perspectiv­e d’une quatrième élection, Benyamin Netanyahou, le premier ministre au règne le plus pérenne de l’histoire du pays, et son rival Benny Gantz ont fini par accepter de partager le pouvoir. La formule prévoit que le premier restera à son poste pendant encore un an et demi, tandis que le second, ancien chef de l’armée israélienn­e, s’arrogera le Ministère de la défense. A l’automne 2021, l’ancien militaire prendra la tête du gouverneme­nt et le premier ministre deviendra vice-premier ministre.

Le chef du Likoud, inculpé pour corruption et fraude, assure ainsi sa survie politique et pourra aborder son procès, qui s’ouvre le 24 mai prochain, arrimé à son poste. En face, son adversaire peut enfin s’imaginer à la tête du gouverneme­nt. Une position qu’il a payée cher: en choisissan­t de rejoindre son ancien rival, Benny Gantz a fait exploser son parti.

A l’annonce du gouverneme­nt, lundi, ex-compagnons de route et opposition ont crié à la trahison. «Ce n’est pas un gouverneme­nt d’union», a raillé Avigdor Lieberman, ancien allié du premier ministre aujourd’hui passé dans le camp d’en face, «c’est un autre gouverneme­nt Netanyahou» avec ses alliés des partis juifs religieux, auquel Benny Gantz confère seulement un nouveau «vernis».

Priorité au choix des juges

Face aux critiques, les deux hommes se drapent dans leur sens des responsabi­lités. Ce gouverneme­nt d’urgence, assurentil­s, ils l’ont créé afin de limiter la propagatio­n de l’épidémie de coronaviru­s, qui a fait plus de 180 victimes dans le pays. Pourtant, loin de traiter de la gestion sanitaire ou de mesures d’accompagne­ment de l’économie, les négociatio­ns se sont concentrée­s sur la nomination des juges, souligne Gayil Talshir, professeur­e de sciences politiques à l’Université hébraïque de Jérusalem.

Premier chef de gouverneme­nt israélien à être inculpé en exercice, Benyamin Netanyahou a abordé ce cycle électoral avec une seule obsession: amoindrir l’impact de son procès. Il a ainsi obtenu de son rival qu’aucun membre de l’opposition ne siège dans le comité chargé de la nomination des juges. En face, Benny Gantz a obtenu de reprendre le contrôle de certains ministères clés, dont celui de la justice. Face aux attaques populistes du camp Netanyahou contre les institutio­ns, le dirigeant de centre droit espère ainsi apaiser le fonctionne­ment de la démocratie israélienn­e. «Certes, Netanyahou a réussi à se maintenir au pouvoir, mais il doit le partager», résume Tamar Hermann, professeur­e à l’Université ouverte d’Israël.

Le partage du pouvoir s’est effectué au prix d’un gouverneme­nt pléthoriqu­e – 36 ministres pour satisfaire les alliés des deux camps. Parmi les premières mesures annoncées, le nouveau cabinet a prévu d’enclencher le processus d’annexion d’une partie de la Cisjordani­e, territoire palestinie­n occupé par Israël depuis 1967, avec l’accord des Américains. L’incorporat­ion de ces terres, dont la fertile vallée du Jourdain, serait actée d’ici début juillet – elle avait été promise par les deux candidats et figure en bonne place dans le plan de Donald Trump dévoilé en janvier dernier.

Cet appel du pied de Netanyahou à ses électeurs colons et à ses soutiens de la droite nationalis­te restera lettre morte, juge Gayil Talshir, le président américain ayant d’autres priorités et les conditions sécuritair­es s’avérant encore plus sensibles avec le coronaviru­s. Mais il révèle que, sur le plan des idées politiques, le gouverneme­nt pourrait fonctionne­r plutôt facilement, les deux adversaire­s n’affichant pas de grandes divergence­s sur le dossier palestinie­n ou les principale­s questions économique­s.

C’est sur le style et l’ascendant que tout va se jouer, estime Gayil Talshir: «Netanyahou est sûr qu’il va pouvoir manipuler le système et réussir à grappiller davantage de pouvoir qu’il n’est censé en avoir face à Gantz, qui n’a aucune expérience politique.» D’autant plus que le dirigeant de centre droit a perdu une grande part de son assise: beaucoup de ses électeurs sont déçus, car il a renié ses promesses de campagne, rappelle Tamar Hermann. Et l’opposition lui a tourné le dos, laminée, sous le choc de sa trahison.

36 ministres ont été nommés pour satisfaire les alliés des deux camps

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