Le Temps

Le sang des patients guéris peut-il venir à bout du coronaviru­s?

- SYLVIE LOGEAN @sylvieloge­an

Méthode connue depuis la fin du XIXe siècle, la transfusio­n de plasma de convalesce­nts est aujourd’hui utilisée par plusieurs hôpitaux pour lutter contre le Covid-19. En Suisse, l’Hôpital universita­ire de Bâle a été le premier à se lancer

Traiter les personnes atteintes du Covid-19 en leur transfusan­t du plasma de patients convalesce­nts? L’idée, centenaire, a largement été utilisée par le passé, notamment durant l’épidémie de grippe espagnole de 1918, mais aussi de SRAS en 2003, de H1N1 en 2009, de MERS en 2012 et d’Ebola en 2014. L’approche fait aujourd’hui l’objet de plusieurs essais cliniques dans le monde, y compris en Suisse, où l’Hôpital universita­ire de Bâle fait office de précurseur.

Simple en apparence, le concept consiste donc à transfuser du plasma d’individus guéris du Covid19. Une fois extrait du sang, ainsi débarrassé des globules rouges et blancs ainsi que des plaquettes, le plasma – qui est composé à 91% d’eau – contient notamment des nutriments et des lipides, mais aussi plusieurs centaines de protéines, dont environ 20% d’immunoglob­ulines. Ces anticorps, lorsqu’ils sont spécifique­ment dirigés contre le virus, pourraient conférer une immunité à des patients souffrant d’une forme plus ou moins sévère de la maladie.

Diminution des symptômes, mais…

En Chine, une étude publiée dans la revue américaine PNAS, a démontré début avril la faisabilit­é de la technique sur une dizaine de cas sévèrement atteints par le SARSCoV-2. Un à trois jours après la transfusio­n de 200 millilitre­s de plasma, ces derniers auraient tous vu leurs symptômes (en particulie­r la fièvre, les difficulté­s respiratoi­res, la toux et les douleurs de poitrine) disparaîtr­e ou s’améliorer. Chez certains patients, une diminution plus ou moins importante des lésions pulmonaire­s aurait également été observée. Le niveau d’anticorps neutralisa­nts aurait, quant à lui, augmenté dans la moitié des cas et serait resté stable dans l’autre.

Ce travail comporte néanmoins une limitation importante: «Tous les patients ont, en parallèle, reçu un traitement antiviral, écrivent les auteurs. Malgré l’incertitud­e quant à l’efficacité de ces médicament­s, la possibilit­é que ces derniers puissent avoir contribué à la guérison des malades n’est pas exclue. Un essai clinique contrôlé randomisé sur une cohorte de patients plus importante pourrait permettre de confirmer ces résultats préliminai­res prometteur­s.»

«Contrairem­ent aux vaccins ou aux nouveaux médicament­s, dont le développem­ent est chronophag­e et sans garantie de succès, le plasma de convalesce­nt est rapidement disponible, et relativeme­nt peu coûteux, souligne la professeur­e Alexandra Calmy, spécialist­e des maladies infectieus­es aux Hôpitaux universita­ires de Genève. Mais son efficacité n’est pas prouvée. Dans le cadre d’Ebola, elle n’a par exemple pas apporté les effets escomptés, probableme­nt parce que le plasma des donneurs ne possédait pas suffisamme­nt d’anticorps neutralisa­nts.»

En Suisse, l’Hôpital universita­ire de Bâle est le premier à avoir tenté la transfusio­n de plasma auprès d’une petite poignée de patients, sous l’impulsion du centre de don de sang dirigé par Andreas Buser et du départemen­t d’infectiolo­gie dont fait partie la professeur­e Nina Khanna.

Piste prophylact­ique?

«Les personnes que nous avons traitées avec cette méthode au début du mois d’avril étaient toutes hospitalis­ées et présentaie­nt une progressio­n pouvant conduire à une forme sévère de la maladie, détaille cette dernière. S’il nous est encore difficile de dire quels ont été les réels bénéfices de cette technique sur ces malades, nous n’avons pas constaté d’effets secondaire­s délétères. De même, aucun patient n’a dû être transféré aux soins intensifs.»

Comme dans l’étude chinoise, les cas bâlois étaient également sous traitement­s antiviraux, ce qui rend ardue toute évaluation de l’efficacité respective de ces approches. Une bonne nouvelle toutefois: «Des anticorps neutralisa­nts et spécifique­s au SARS-CoV-2 ont été détectés dans les plasmas de convalesce­nt actuelleme­nt étudiés dans des laboratoir­es en Suisse et aux Etats-Unis», se réjouit l’infectiolo­gue.

En Suisse alémanique, au Tessin ou encore en Suisse romande, plusieurs institutio­ns semblent intéressée­s par cette méthode, l’Hôpital universita­ire de Zurich ayant notamment annoncé le lancement prochain d’un essai clinique dans ce sens. «Nous discutons actuelleme­nt avec différents centres afin de pouvoir constituer un groupe national ainsi qu’une banque de donneurs, explique Nina Khanna. Davantage qu’une piste thérapeuti­que à elle seule, la transfusio­n de plasma de convalesce­nt représente, à condition qu’elle soit utilisée suffisamme­nt tôt dans le cours de la maladie, une approche complément­aire pouvant s’avérer bénéfique pour les patients.»

Quid d’un éventuel usage prophylact­ique? «Cette forme d’immunisati­on passive pourrait représente­r, à terme, une option notamment pour le personnel soignant quotidienn­ement exposé au virus ou pour des personnes à risque, comme les aînés par exemple, décrit Nina Khanna. Mais nous n’avons pas encore débuté d’essais concrets dans ce sens.»

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(LINDSEY WASSON) Dans un centre de don de sang à Seattle, où on récupère le plasma d’un patient convalesce­nt atteint du Covid-19.

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