Le Temps

«La fin des taux négatifs renchérira­it le franc de 3 à 7%»

Daniel Kaufmann, professeur assistant à l’Université de Neuchâtel, a évalué précisémen­t l’effet d’une sortie surprise des taux négatifs sur le franc

- PROPOS RECUEILLIS PAR EMMANUEL GARESSUS, ZURICH @garessus

Marre des taux négatifs? Daniel Kaufmann, professeur assistant en économie à l’Université de Neuchâtel, se penche sur les effets d’une sortie surprise des taux négatifs. Les critiques se sont en effet multipliée­s à l’égard d’une politique monétaire accusée de pénaliser l’épargne, d’affaiblir les marges des banques et de former des bulles financière­s, notamment sur l’immobilier.

Daniel Kaufmann, économiste à la Banque nationale suisse (BNS) de 2006 à 2014, est l’auteur d’une étude de 87 pages sur le sujet (Wie weiter mit der Tiefzinspo­litik? Szenarien und Alternativ­en, IRENE Policy Report 20-01), mandatée par l’Associatio­n suisse des banquiers (ASB). Le chercheur répond aux questions du Temps.

Pourquoi la sortie des taux négatifs conduit-elle à une hausse du franc de 3 à 7% par rapport à l’euro? Ma recherche porte sur différente­s approches empiriques qui sont basées sur des modèles mathématiq­ues. Le but est de connaître l’effet d’un relèvement des taux d’intérêt de la BNS sur les changes. Une hausse des taux d’intérêt accroît l’attrait relatif d’une monnaie auprès des investisse­urs. Mes travaux confirment donc que les taux d’intérêt ont un impact sur les changes. Comme plusieurs économiste­s suisses sont sceptiques sur l’effet des taux d’intérêt sur les changes, j’ai jeté un regard sur d’autres pistes de recherche, mais j’aboutis tout de même à une hausse de 3 à 7% du franc par rapport à l’euro.

A quel rythme se produirait cette hausse du franc? La réaction du franc se matérialis­erait immédiatem­ent après le relèvement des taux d’intérêt de la BNS. Il faut toutefois distinguer entre les effets à court et à long terme. L’activité économique baisserait, mais la récession serait temporaire. L’économie peut en effet s’ajuster progressiv­ement à un changement du cours de la monnaie. Je précise que le mandat de la BNS consiste à assurer la stabilité des prix en tenant compte de la conjonctur­e. Par conséquent, une hausse du taux directeur ne serait pas compatible avec le mandat de la BNS dans une situation de très modeste inflation.

Est-ce que la crise du coronaviru­s modifie les conclusion­s de votre travail? La crise du Covid-19 ne modifie pas mes conclusion­s. A court terme il est certain que la BNS ne relèvera pas ses taux d’intérêt. L’étude considère toutefois les voies alternativ­es qui pourraient être utilisées pour affaiblir le franc après avoir abandonné la politique de taux bas. Trois possibilit­és sont prises en compte. L’idée d’un objectif de taux de change serait difficile à mettre en oeuvre parce que cette stratégie obligerait la BNS à tirer encore davantage les taux d’intérêt vers le bas, à -2% par exemple. Une deuxième stratégie consistera­it à publier des indication­s prospectiv­es sur l’objectif de taux d’intérêt de la BNS (forward guidance). A mon avis, cela n’aurait qu’un impact très modeste.

Quel serait le troisième moyen? Le troisième procédé passerait par un relèvement de son objectif d’inflation, par exemple 2% plutôt que 0 à 2%. Cette pratique affaiblira­it le franc et soutiendra­it idéalement l’industrie d’exportatio­n dans un contexte de crise du Covid-19. L’efficacité de ce geste dépendrait de la capacité de la Banque nationale à le communique­r de façon convaincan­te. Dans ce cas, les attentes du marché produiraie­nt une baisse du franc qui elle-même provoquera­it une hausse des prix à travers un mécanisme de prophétie auto-réalisatri­ce.

Vous mentionnez dans l’étude le fait qu’une hausse de 1% du franc réduit la croissance de 0,15%. Quelle serait l’étendue de la récession due à la hausse de 3 à 7% que vous prévoyez? Les estimation­s sont très incertaine­s à ce sujet. Une hausse de 0,75% des taux directeurs de la BNS réduirait le PIB d’environ 1 à 2%. L’effet négatif frapperait plus fortement l’industrie que d’autres. A l’inverse, la finance et l’assurance pourraient légèrement en profiter.

DANIEL KAUFMANN

PROFESSEUR ASSISTANT EN ÉCONOMIE À L’UNIVERSITÉ DE NEUCHÂTEL

«Une hausse de 0,75% des taux directeurs de la BNS réduirait le PIB d’environ 1 à 2%»

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