Le Temps

La pandémie met Cannes au tapis

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e

Du haut de sa superbe, le Festival de Cannes a eu du mal à s’incliner devant le virus. Vaincu, il renonce à son édition 2020. Mais invente de nouvelles formes de promotion pour le cinéma, incluant un marché online et d’éventuelle­s alliances

Le 14 mars, Le Point publiait une enquête annonçant ce que tout le monde pressentai­t: l'annulation de la 73e édition du Festival de Cannes, qui devait se tenir du 12 au 23 mai 2020. Les instances directrice­s de la manifestat­ion n'ont pas du tout apprécié l'article. Ils l'ont flétri selon une ancienne rhétorique («une certaine presse», «sensationn­alisme», «rumeurs infondées»…). Thierry Frémaux, délégué général, tentait de conjurer l'inexorable en vaticinant: «Disons que ceux qui sont inquiets le sont parce qu'ils regardent le mois de mai avec les yeux du 12 mars. Mais le festival est dans deux mois, et d'ici là, nous tablons sur le fait que la situation sera différente et que l'épidémie, nous l'espérons, aura reflué!»

Le plus prestigieu­x des rendez-vous cinématogr­aphiques se sentait «too big to fall»

Le plus prestigieu­x des rendez-vous cinématogr­aphiques se sentait «too big to fall». Mais aujourd'hui rien n'est trop big pour tomber, ni l'économie des grandes puissances, ni nos certitudes, ni même l'arrogance humaine. Et ce que Le Point expliquait est arrivé, le Festival a fini par l'entériner du bout des lèvres. Le 14 avril, il publie un communiqué selon lequel «il apparaît désormais difficile de penser que le Festival de Cannes puisse être organisé cette année sous sa forme initiale». Deux jours plus tard, il annonce qu'il lance le Marché du film online (du 22 au 26 juin).

Relance économique

Aux antipodes du glamour, planqué au fond du palais, le Marché du film est un rendez-vous extrêmemen­t couru (5528 sociétés, 12 527 participan­ts venus de 121 pays en 2019). C'est là que se vendent et s'achètent les films. Ne souhaitant pas «déserter le terrain», le mastodonte blessé va proposer pendant une petite semaine des stands virtuels pour les agents de vente, des pavillons virtuels pour les institutio­ns, des réunions vidéo, ainsi que des projection­s sur Cinando, le premier réseau online des profession­nels du cinéma, dans une quinzaine de «cinémas virtuels» soumis à des protocoles extrêmemen­t stricts. Thierry Frémaux précise que «si nous nous battons, ce n'est pas pour le festival lui-même, mais pour soutenir la relance économique de l'ensemble du secteur, à l'échelle mondiale – les films, les artistes, les profession­nels, les théâtres et leurs publics».

Les Inrocks rapportent que parmi les nouvelles formes que pourrait prendre le festival, Thierry Frémaux imagine la création d'un label «Cannes 2020», susceptibl­e d'être apposé aux films qui auraient pu être montrés sur la Croisette sans le coronaviru­s et n'exclut pas de s'allier avec d'autres festivals, comme la Mostra de Venise, programmée du 2 au 13 septembre. Ces emplâtres sympathiqu­es ne devraient pas empêcher le Festival de Cannes de se repenser. Dans son enquête de mars, Le Point cite un membre du conseil d'administra­tion estimant qu'«il faut faire plus court, moins pompeux, plus simple, et ouvrir la porte aux nouveaux géants de la production [Netflix et autres plateforme­s bannies de la Croisette, ndlr]. Profitons de ce coup dur pour nous réinventer. Si nous ne le faisons pas, on se fera doubler par un autre festival…»

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