Donald Trump confus sur l’immigration
Au nom de la défense de l’emploi, le président suspend l’octroi de permis de séjour pendant deux mois. Une décision située dans la droite ligne de son slogan «America First». Une première étape vers d’autres mesures restrictives?
C’est le genre de décision qui provoque inquiétude et confusion. Mardi, comme il l’avait annoncé avec fracas la veille sur Twitter, Donald Trump a bien confirmé une «suspension temporaire» de l’immigration légale vers les EtatsUnis, mais pas de manière aussi drastique qu’attendu. Le décret signé mercredi prévoit surtout la suspension de l’octroi des green cards, qui offrent le statut de résident permanent, pendant soixante jours. Donald Trump motive sa décision par la crise économique provoquée par l’épidémie de coronavirus. Elle s’inscrit dans la droite ligne de son slogan «America First». Alors que plus de 22 millions d’Américains se sont inscrits au chômage en l’espace de quatre semaines seulement, le président veut «protéger les emplois», après «l’attaque de l’ennemi invisible». Et consolider ses chances de réélection le 3 novembre.
A ce stade, les étrangers désirant s’installer et travailler légalement aux Etats-Unis ne devront donc pas tous reporter leurs projets. Les visas de travail temporaires ne sont pas concernés par le décret, a-t-il confirmé mardi soir, lors d’un point presse. Alors pourquoi Donald Trump a-t-il une nouvelle fois opté pour la stratégie de l’épouvantail et semé la panique, y compris au sein de son administration? Le message a essentiellement un but électoraliste. Son administration est consciente que fermer le pays à certaines catégories de travailleurs étrangers – comme les ouvriers agricoles, les employés de boîtes dans la haute technologie ou encore ceux qui peuvent prétendre à des visas «pour compétences extraordinaires» dans le domaine des sciences, des arts, de l’éducation, des affaires ou du sport – serait problématique.
En première ligne lors de la réouverture
Mais le président préfère évoquer un décret «interdisant l’immigration» pour satisfaire ses électeurs. Il l’a encore fait par tweet mercredi. Mardi, il soulignait que cette «pause de l’immigration placera les Américains au chômage en première ligne pour les emplois au fur et à mesure de la réouverture de l’Amérique». «Il serait injuste que les Américains soient remplacés par une maind’oeuvre venue de l’étranger», a-t-il martelé. Depuis que Donald Trump est au pouvoir, le nombre de visas d’immigration délivrés à des étrangers a déjà diminué d’environ 25% en trois ans, passant de 617752 en 2016 à 462422 pour l’année fiscale 2019. Cette même année, environ 800000 green cards ont été accordées.
Les propos de Donald Trump peuvent surprendre étant donné que les prétendants aux «cartes vertes» sont en principe déjà sur le sol américain. Est-on dans le pur effet de manche? Le décret augure-t-il au contraire d’autres mesures à venir plus restrictives alors que les Etats-Unis veulent redémarrer leur économie malgré la menace d’une deuxième vague de pandémie? Donald Trump peut très bien ordonner à ses ambassades de se montrer moins généreuses dans l’octroi de visas, sans que cela figure nécessairement dans un décret.
Sur Fox News, Tom Homan, ex-directeur par intérim de l’Immigration et des Douanes, n’a pas caché vouloir aller plus loin. «Le président a déclaré que son décret pourrait être élargi. Ce serait une excellente occasion d’étendre le décret à des centaines de milliers de travailleurs temporaires, tels que les bénéficiaires de visas H1B pour les hautes technologies. Même avant cette pandémie, ces types de travailleurs ont évincé de nombreux citoyens américains
«Ces types de travailleurs ont évincé de nombreux citoyens américains d’emplois bien rémunérés»
TOM HOMAN, EX-DIRECTEUR PAR INTÉRIM DE L’IMMIGRATION ET DES DOUANES
d’emplois bien rémunérés. Il serait logique d’étendre le décret pour les inclure rapidement», a-t-il commenté. Un message que le service de presse de Donald Trump a diffusé mercredi.
Sur le front de l’asile également, Donald Trump envisage des coups de frein supplémentaires. Le président est déjà parvenu à faire en sorte que toutes les demandes déposées à la frontière sud des Etats-Unis soient examinées sur sol mexicain. Dès lundi soir, les réactions ont été vives, notamment du côté des démocrates. Pour l’élu texan Joaquin Castro par exemple, l’annonce de Trump n’est qu’une manoeuvre pour «détourner l’attention de son échec à stopper la propagation du coronavirus», «une décision digne d’un régime autoritaire pour profiter d’une crise afin de pousser son programme anti-immigration».
Des interdictions prescrites trop tard
En début de mandat, en janvier 2017, Donald Trump avait pris une décision controversée pour interdire l’entrée sur le sol américain aux ressortissants de certains pays musulmans. Un décret plus connu sous le nom de «Muslim Ban», contesté à plusieurs reprises devant la justice. La décision actuelle est officiellement motivée par une situation extraordinaire, alors que les vols en provenance d’Europe ont déjà été suspendus à la mi-mars. Les frontières sont également fermées côté canadien et mexicain, pour le transit des personnes et non des marchandises, avec quelques exceptions. Début janvier déjà, Donald Trump avait restreint les déplacements avec la Chine. De facto, il demeure donc très difficile pour un étranger d’entrer ces jours aux Etats-Unis.
Restreindre l’immigration au nom de l’urgence sanitaire pour limiter les maladies contagieuses graves est un droit, rappelle le Cato Institute dans son blog. Mais il souligne que la plupart des recherches sur les interdictions de voyages en réponse aux pandémies démontrent qu’elles ne limitent pas la propagation, en partie parce qu’elles sont toujours imposées après que la maladie s’est propagée. Donald Trump le dit d’ailleurs clairement luimême: sa décision est d’abord motivée par sa volonté de préserver l’emploi, et non de limiter les risques de propagation du virus.
L’annonce tombe alors que Donald Trump sème la zizanie en encourageant, via Twitter, les manifestations anti-confinement, organisées dans les quatre coins du pays, souvent par des patriotes aux idées extrémistes.
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