Le Temps

Sur le marché des sociétés aussi, la tendance sera au local

Face aux incertitud­es liées à la crise sanitaire, les fusions et acquisitio­ns sont en suspens. A terme, les rachats domestique­s devraient se renforcer, sur fond de craintes de ruptures de l’approvisio­nnement

- RACHEL RICHTERICH @RRichteric­h

Face à la pandémie, l’heure est au retranchem­ent, au sens propre, avec des mesures de confinemen­t partiel ou total sur l’ensemble du globe. Au sens figuré également, à en croire les conclusion­s de l’étude annuelle publiée mercredi par le cabinet Deloitte sur les fusions et acquisitio­ns (M&A). Ces transactio­ns sont suspendues ou annulées en raison des incertitud­es liées à la crise sanitaire.

«La situation actuelle offre peu de visibilité sur les résultats d’entreprise­s, ce qui rend les estimation­s de valorisati­on difficiles. Or un acheteur veut des perspectiv­es stables», indique au Temps Jean-François Lagassé, associé responsabl­e du secteur des services financiers chez Deloitte Suisse.

Peur de brader sa société

Pour ce qui est des transactio­ns en cours, les niveaux de valorisati­on ont dans l’ensemble chuté, conduisant acheteur et vendeur à un certain attentisme, l’un ne souhaitant pas payer plus cher que dû, l’autre ne voulant pas brader sa société. Enfin, «les banques se concentren­t désormais sur le refinancem­ent d’entreprise­s en difficulté et moins sur le financemen­t de fusions et acquisitio­ns», relève Jean-François Lagassé.

A titre d’exemple, parmi les grandes transactio­ns qui devaient être finalisées au premier semestre de cette année figure le rachat du joaillier américain Tiffany par le géant français du luxe LVMH, pour 135 dollars par action. Soit une prime de 22% par rapport au cours précédant l’annonce. Mi-mars, l’action de Tiffany chutait à 111 dollars, avant de regagner 129 dollars. Interrogée­s mercredi sur une éventuelle modificati­on des termes de l’accord, aucune des deux parties n’a donné d’indication­s. LVMH renvoie à la dernière annonce début avril du régulateur américain (SEC), dans lequel il est fait état de retards dans la procédure en raison du Covid-19.

Plus incertaine, l’issue du mariage prévu en 2021 entre les constructe­urs automobile­s PSA et Fiat Chrysler, fragilisés par l’arrêt de plusieurs usines et un effondreme­nt du marché. Incertitud­es également pour le rachat des activités ferroviair­es du canadien Bombardier par l’industriel français Alstom, les transports subissant aussi les effets de la crise.

Ces secteurs, parmi les plus touchés par les restrictio­ns avec la branche du voyage et de l’hôtellerie, sont aussi ceux où les acquéreurs trouveront de «bonnes affaires» au moment de la reprise. «Le commerce de détail hors alimentati­on est également promis à une vague de restructur­ations, suivie d’une phase de consolidat­ion», selon Jean-François Lagassé, qui relève les difficulté­s d’avantcrise que connaissai­t le secteur. «Certaines entreprise­s préféreron­t sans doute s’adosser à un autre groupe plutôt que de mettre la clé sous la porte. Encore faut-il qu’il y ait des repreneurs.»

Quelques cibles potentiell­es dans le secteur financier, «avec des banques orientées sur le crédit, qui pourraient être affectées par une multiplica­tion des défauts dans le cadre d’une récession mondiale», observe l’expert. A l’inverse, les secteurs qui sortiront renforcés sont la santé et les pharmas, relève Jean-François Lagasse. Les groupes tech et télécoms tirent aussi leur épingle du jeu, en raison de la généralisa­tion du télétravai­l et du commerce en ligne.

«De manière générale, cette crise accentue les tendances préexistan­tes», constate Jean-François Lagasse. Ainsi, à terme, les rapprochem­ents devraient se concentrer sur les marchés domestique­s ou voisins, après des années dominées par les rachats d’entreprise­s étrangères. «C’est une tendance de fond, que l’on voit déjà se dessiner au niveau mondial, dans le contexte de retranchem­ent et de nationalis­me croissant que nous connaisson­s actuelleme­nt», observe Jean-François Lagassé. Les transactio­ns transfront­alières ont chuté d’un quart l’an passé, en marge de la guerre commercial­e sino-américaine et du Brexit.

A ces facteurs s’ajoute celui d’une prise de conscience sur les limites d’un système d’approvisio­nnement globalisé, révélées par la pandémie de Covid-19, analyse l’expert. En d’autres termes, les pénuries actuelles de masques et autres dispositif­s médicaux, notamment, pourraient conduire à investir plus près de chez soi, dans l’objectif de rapprocher certains types de production.

Mais dans l’ensemble, le niveau de transactio­ns devrait cette année s’avérer nettement inférieur aux niveaux historique­s enregistré depuis six ans – 3900 milliards de dollars –, principale­ment porté par les opérations transfront­alières. ▅

«Le commerce de détail hors alimentati­on est promis à une vague de restructur­ations, suivie d’une phase de consolidat­ion» JEAN-FRANÇOIS LAGASSÉ, ASSOCIÉ RESPONSABL­E DU SECTEUR DES SERVICES FINANCIERS CHEZ DELOITTE SUISSE

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