Les milliards de la BNS deviennent moins probables
La Banque nationale suisse accuse une perte de 38 milliards de francs au premier trimestre. Plus que jamais, les cantons doivent se préparer à vivre avec la volatilité de ses versements
Attention à ne pas tirer de conclusions hâtives. A chaque fois que la Banque nationale suisse (BNS) communique sur ses résultats, elle rappelle leur dépendance à l’évolution des marchés financiers et donc, leur grande volatilité. Parce qu’il a souvent concerné des milliards de bénéfices, cet avertissement a longtemps sonné comme une invitation à ne pas trop se réjouir.
Mais ce jeudi, alors que les finances publiques sont sollicitées de toutes parts par la crise du coronavirus, cette rengaine résonne comme un motif d’espoir. Espoir, parce que secoué par les turbulences sur les marchés, le portefeuille de placements de la BNS a accusé une perte de 38,2 milliards de francs au premier trimestre.
Une épine dans le pied
Cette contre-performance, si elle se confirme sur l’ensemble de 2020, pourrait priver les cantons et la Confédération de plusieurs précieux milliards que la BNS verse chaque année lorsqu’elle réalise des bénéfices.
«Nous avions tablé sur 30 milliards de pertes», réagit jeudi Pascal Broulis. Pour le ministre vaudois des Finances, ce n’est donc pas une surprise. Mais c’est une autre épine dans le pied de ceux qui s’attellent à tenir un budget. Lui et ses équipes travaillent déjà sur celui de 2021. Mais du côté des dépenses, pour l’instant. Car côté revenus, il y a trop d’incertitudes. Un exemple, parmi tant d’autres: une vingtaine de grandes sociétés multinationales pèse pour plus de 50% des rentrées fiscales des personnes morales dans le canton. «Vont-elles créer des provisions spéciales, ou accélérer certains amortissements? Et ainsi réduire leurs revenus imposables? C’est possible, cela avait été le cas en 2008/09», se souvient Pascal Broulis.
Incertains, donc, sont aussi les versements de la BNS. «Déjà, en temps normal, il ne faut surtout pas affecter cette rentrée d’argent à des projets spécifiques. C’est trop risqué, trop hypothétique. Donc aujourd’hui, cela doit encore moins être le cas. La BNS, c’est le beurre dans les épinards.» Ce beurre s’est élevé, pour son canton, à 240 millions de francs, au titre de 2019. Neuchâtel, lui, a reçu 56 millions. Et son grand argentier, Laurent Kurth, sait déjà qu’il ne faut compter que sur 14 millions pour 2020. C’est-à-dire sa part du milliard habituel.
La convention entre la BNS et le Département fédéral des finances (DFF) prévoit en effet un deuxième milliard à la condition que le solde de la réserve pour distributions futures excède 20 milliards, après affectation du bénéfice. Une condition remplie en 2019. A ces deux milliards s’en sont ajoutés deux autres, selon un accord spécial pour 2019 et 2020, qui prévoit que si la réserve dépasse 30, puis 40 milliards, ces suppléments sont autorisés.
Un amortisseur conjoncturel
«Nous devons vivre avec ces fortes variations, reprend Laurent Kurth. Voilà pourquoi il ne faut pas placer d’attentes politiques, ni budgétaires dans la BNS.» Le ministre neuchâtelois des Finances rappelle que depuis 2020, une nouvelle législation financière «permet de neutraliser la volatilité de cette distribution». Le canton affecte tout ce qui dépasse le versement ordinaire – les 14 millions – à des réserves servant notamment à amortir les années difficiles, dans un canton particulièrement sensible aux cycles conjoncturels.
A la fin de 2019, la réserve pour distributions futures de la BNS s’élevait à 84 milliards. Soit 44 de plus que le seuil lui octroyant le droit de distribuer 4 milliards. Avec la perte enregistrée sur trois mois, ce scénario reste possible. Personne n’ose imaginer que les trois autres trimestres seront aussi dévastateurs pour le portefeuille de la BNS. Mais personne ne s’aventure non plus à prévoir à ce qu’elle soit aussi généreuse que l’an dernier.
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«La BNS, c’est le beurre dans les épinards» PASCAL BROULIS,
MINISTRE VAUDOIS DES FINANCES