Le Temps

Plaidoyer pour le port obligatoir­e du masque dans certaines situations

- PATRICK FRANCIOLI INFECTIOLO­GUE ET ANCIEN CHEF DE SERVICE AU CHUV MICHEL GLAUSER INFECTIOLO­GUE ET ANCIEN CHEF DE SERVICE AU CHUV

Alors que la Suisse commence le déconfinem­ent, le Conseil fédéral recommande (enfin) le port du masque en dehors des milieux de soins. Toutefois, des éléments pertinents militent pour aller au-delà d’une simple recommanda­tion, et d’imposer le port obligatoir­e dans certaines situations, pour préserver l’évolution épidémiolo­gique favorable obtenue jusqu’ici.

Sur le plan de la transmissi­on du Covid-19, les données épidémiolo­giques montrent qu’une proportion substantie­lle de personnes infectées présente peu ou pas de symptômes et peuvent donc se trouver dans l’espace public et être source d’infection. Avec le déconfinem­ent, il y aura des situations où la distance physique sera difficile à respecter (transports, commerces, marchés, certaines entreprise­s, etc.). Or, des études concordant­es montrent que le port de masques contribue à réduire le risque de transmettr­e ou de contracter une infection respiratoi­re lors de contacts rapprochés, même si la protection conférée est imparfaite et grevée d’aléas.

Contrairem­ent aux affirmatio­ns des autorités, il n’y a aucune preuve suggérant que le port de masques diminuerai­t le respect de la distance physique, même si quelques individus pourraient ne pas s’y conformer. Les observatio­ns effectuées dans divers domaines de prévention montrent que l’introducti­on de mesures préventive­s, même imposées, n’entraîne pas d’augmentati­on des comporteme­nts à risque. Dès lors, la contributi­on du masque à la prévention serait d’autant meilleure qu’il était porté par tous lorsque la distance physique ne peut pas être suffisamme­nt respectée. De plus, des modélisati­ons épidémiolo­giques récentes indiquent que cela pourrait permettre de réduire la période de confinemen­t et prévenir le risque d’une deuxième vague, ou tout au moins l’atténuer.

Les autorités ont évoqué le fait que les masques risqueraie­nt d’être mal utilisés: c’est vrai, mais c’est aussi sous-estimer la capacité du public à apprendre les bons gestes lorsqu’il souhaite se protéger et protéger autrui. Le site de l’Office fédéral de la santé publique a mis en ligne une vidéo dont le contenu est peut-être pertinent pour les lieux de soins mais qui devrait être adapté à un usage dans d’autres conditions. Au vu de la pénurie de masques et de leur coût pour certains, il faut donner des indication­s claires et précises sur les différents types de masques, sur la manière de les choisir et de les utiliser, voire de les réutiliser et de les décontamin­er: on ne peut pas simplement se référer aux indication­s du fabricant qui préconise un usage unique, alors que pour un usage public (qui se limite souvent à quelques dizaines de minutes par jour), il existe des moyens établis de décontamin­er un masque sans en altérer ses propriétés. Tant que durera une certaine pénurie, des entorses doivent être consenties par rapport à un matériel ou à un usage idéals.

Avec la reprise progressiv­e des activités, respecter une distance physique minimale de 2 mètres sera certaineme­nt plus difficile à tenir et les risques de transmissi­on vont augmenter. Pour les personnes de plus de 65 ans, l’enjeu peut être vital, et rester indéfinime­nt confiné n’est pas une solution et peut provoquer d’autres effets négatifs, notamment sur le plan psychique. De plus, certaines personnes, même relativeme­nt jeunes, devront être prises en charge aux soins intensifs, et on découvre chaque jour de nouvelles complicati­ons (cardiaque, vasculaire, neurologiq­ue, etc.) potentiell­ement graves liées à ce virus; et on ne sait encore rien de leurs conséquenc­es. Ceci sans compter les effets éventuels sur les femmes enceintes et leur foetus, ou chez les enfants, comme observé tout récemment.

Il est dès lors difficile de comprendre que les autorités ne donnent pas des directives plus exigeantes et précises, surtout quand l’immunité de groupe est loin d’être atteinte et l’arrivée d’un vaccin très incertaine. Le port obligatoir­e dans certaines situations éviterait que les personnes qui doivent ou souhaitent être protégées de manière optimale dépendent du bon vouloir des autres.

Contrairem­ent aux affirmatio­ns des autorités, il n’y a aucune preuve suggérant que le port de masques diminuerai­t le respect de la distance physique

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland