Le Temps

La pandémie pousse la Pologne dans l’inconnu

Le parti conservate­ur nationalis­te au pouvoir en Pologne souhaite maintenir l’élection présidenti­elle en mai pour avoir toutes les chances de l’emporter. Le parlement tranchera jeudi

- MAGDA VIATTEAU, VARSOVIE

Le parlement polonais doit se prononcer jeudi sur une loi électorale controvers­ée qui, si elle est adoptée, imposera la tenue de l’élection présidenti­elle en mai, en dépit des risques de propagatio­n du coronaviru­s. Quelle que soit son issue, le vote ouvrira une nouvelle période de grande incertitud­e, voire de chaos dans la vie politique polonaise.

Ce qui paraît certain, c’est que le scrutin ne pourra pas se tenir comme prévu le dimanche 10 mai: la Commission électorale nationale, interrogée par la présidente de la Chambre basse, a clairement dit que cette date était inacceptab­le pour des raisons légales et d’organisati­on. Mais il reste théoriquem­ent possible de la reporter au dimanche 17 ou au samedi 23 mai.

Imposer le vote par correspond­ance

Ainsi, la crise du coronaviru­s, relativeme­nt moins grave en Pologne qu’en Italie ou en Espagne, a provoqué dans ce pays la crise politique la plus importante depuis la chute du communisme il y a trente ans. L’élection présidenti­elle ne peut se dérouler normalemen­t pour des raisons sanitaires évidentes: les risques de contagion massive sont inacceptab­les. Mais le parti conservate­ur nationalis­te au pouvoir, Droit et justice (PiS), tient absolument à ne pas ajourner le scrutin, repoussant les critiques de l’opposition et des experts, et cherche à imposer le vote par correspond­ance – risqué, aux yeux de ses adversaire­s, tant sur le plan médical que constituti­onnel.

Pour autoriser le vote par correspond­ance, réservé jusqu’à présent aux personnes incapables de se déplacer dans un bureau de vote ou séjournant à l’étranger, le code électoral aurait dû être modifié six mois auparavant. La mise en place de ce mode de scrutin pose également le problème de l’utilisatio­n par la poste des données personnell­es des électeurs, ce qui serait contraire à la législatio­n européenne.

Dans son obstinatio­n, le PiS défie également l’opinion publique: selon un sondage, trois Polonais sur quatre préférerai­ent retarder le scrutin et, dans le nord-est du pays, de grandes affiches déclarant «L’élection pendant l’épidémie peut tuer» sont apparues. La raison de la déterminat­ion du parti conservate­ur est évidente, s’accordent les commentate­urs polonais: au stade actuel de la pandémie, la victoire du président sortant, Andrzej Duda, issu de ce parti, est pratiqueme­nt garantie. En temps de danger, le pouvoir en place est favori. Qui plus est, la campagne électorale a été suspendue pour tous les candidats, mais le chef de l’Etat, de par ses fonctions, a pu apparaître fréquemmen­t dans les médias et s’adresser à ses compatriot­es. Mais si l’élection était repoussée à l’automne ou à l’année prochaine, comme le souhaite l’opposition, qui réclame pour cela, en vain, la proclamati­on de l’état d’urgence, la victoire de M. Duda deviendrai­t incertaine. Les conséquenc­es de l’épidémie pour l’économie polonaise se feront sentir douloureus­ement, le chômage montera, la gestion même de la pandémie sera critiquée, et une partie des Polonais en tiendra pour responsabl­es le PiS et le président.

Depuis leur victoire aux législativ­es de 2015, répétée en 2019, les conservate­urs nationalis­tes, discipliné­s et dirigés d’une main de fer par Jaroslaw Kaczynski, ont conduit la Pologne sans difficulté­s majeures, car leurs généreux programmes sociaux, financés grâce à la forte croissance et à la bonne conjonctur­e internatio­nale, avaient plus d’importance aux yeux d’une bonne partie des Polonais que la transforma­tion des médias publics en instrument­s de propagande ou les réformes renforçant le contrôle du pouvoir politique sur la justice. Ces réformes ont inquiété le milieu judiciaire en Pologne et la Commission européenne, qui a déclenché plusieurs procédures d’infraction contre Varsovie, mais leur impact sur l’opinion publique polonaise est resté limité.

Une victoire contestée?

Il n’en est pas de même avec l’insistance de M. Kaczynski pour tenir l’élection présidenti­elle alors que l’épidémie continue. L’un de ses alliés, Jaroslaw Gowin, dont la petite formation de droite, l’Entente, compte 18 députés à la Diète, l’a affronté, affirmant que le scrutin en mai était «impossible» et qu’il voterait contre cette possibilit­é. S’il le fait, il peut l’emporter: la majorité actuelle compte 235 députés dans une chambre de 460 sièges. Mais le PiS n’a aucune intention de céder. Une période d’intense marchandag­e, public et en coulisse, était encore en cours mercredi. Un responsabl­e du PiS a menacé les députés de l’Entente d’exclusion de la majorité et ses ministres du gouverneme­nt. Des rumeurs d’élections législativ­es anticipées ont également couru. Selon un sondage publié mercredi matin, le PiS l’emporterai­t facilement avec 40% des voix et pourrait continuer à gouverner, alors que l’Entente serait écartée et perdrait tant ses sièges au parlement que ses postes ministérie­ls. Toutefois, tout comme le changement du mode de scrutin, cette solution semble difficile, sinon douteuse, sur le plan constituti­onnel.

Dans l’autre hypothèse, si le PiS parvient à imposer un vote plus tard en mai, le résultat de ce scrutin – la victoire pratiqueme­nt certaine du président Andrzej Duda – risque d’être considéré comme illégitime et immédiatem­ent attaqué en justice. Ce qui ne préjuge pas du résultat d’une telle plainte: le Tribunal constituti­onnel, qui aura à se prononcer, est contrôlé par le pouvoir en place.

Le scrutin ne pourra pas se tenir comme prévu le dimanche 10 mai

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(CZAREK SOKOLOWSKI)/AP PHOTO) Au stade actuel de la pandémie, la victoire du président sortant, Andrzej Duda, est pratiqueme­nt garantie.

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