Le Temps

Le confinemen­t a un impact sur notre santé mentale

- SYLVIE LOGEAN t @sylvieloge­an

Selon une enquête réalisée par l’Université de Bâle, une personne sur deux en Suisse s’est sentie plus stressée durant le confinemen­t. L’isolement et le manque de contacts sociaux peuvent avoir des conséquenc­es importante­s sur la santé mentale des population­s vulnérable­s

Quels sont les effets de la pandémie de Covid-19 et des mesures de confinemen­t sur le niveau de stress et la santé psychique de la population? Si plusieurs mois de recul seront nécessaire­s pour parvenir à un tableau précis des conséquenc­es de cet événement hors du commun sur notre état mental, une étude menée par l’Université de Bâle semble déjà apporter quelques éléments de réponse.

Selon les données préliminai­res de «The Swiss Corona Stress Study», obtenues par le biais d’une enquête en ligne réalisée entre le 6 et le 8 avril – soit trois semaines après le début du confinemen­t – auprès de plus de 10000 individus (dont 70% de femmes et 30% d’hommes, les femmes étant plus promptes à répondre à ce type de questionna­ire), le niveau de stress semble avoir augmenté chez une personne sur deux durant la période de confinemen­t. Les symptômes d’anxiété ou de dépression se seraient, par ailleurs, accentués chez 57% des participan­ts, alors que la prévalence des symptômes dépressifs plus sévères aurait augmenté de 3,4% à 9,1%.

Population­s plus vulnérable­s

«Plusieurs facteurs explicatif­s ont été identifiés, explique Dominique de Quervain, directeur de la division de neuroscien­ces cognitives de l’Université de Bâle et principal auteur de l’étude. Parmi eux se trouvent les changement­s intervenus au sein de l’activité profession­nelle ou scolaire – par exemple quant à la tenue ou non des examens de fin d’année –, mais aussi les problèmes liés à la garde des enfants, à l’isolement social, à l’incertitud­e quant au futur ou encore à la réduction des libertés personnell­es.»

Les chiffres obtenus par l’équipe bâloise mettent indirectem­ent en lumière les possibles victimes «silencieus­es» de la pandémie, dont la santé mentale pourrait être affectée sur le long terme. «Le manque d’interactio­ns sociales peut s’avérer difficile pour chacun d’entre nous, appuie Antonella Santuccion­e Chadha, médecin spécialisé­e dans la maladie d’Alzheimer et cofondatri­ce du Women’s Brain Project, une organisati­on internatio­nale qui préconise et mène des recherches en lien avec le cerveau et la santé mentale des femmes. Mais pour les personnes les plus vulnérable­s, notamment les personnes âgées, l’isolement peut être extrêmemen­t délétère quant au maintien des fonctions cognitives. Par ailleurs, il ne faut pas oublier les enfants qui, eux aussi, ont besoin de contacts avec leurs pairs, notamment afin de développer leurs compétence­s sociales.»

Plus enclines à s’occuper des enfants, mais aussi de leurs parents âgés ou malades, les femmes – qui ont plus de risques que les hommes de développer des symptômes anxieux ou dépressifs, comme cela a été démontré par des études réalisées avant la crise – subissent souvent de plein fouet les impacts du lockdown. «On sait que la majorité des proches aidants sont des femmes, analyse Annemarie Schumacher, psychologu­e de la santé et présidente du Women’s Brain Project. Avec le confinemen­t, elles ont moins accès à l’aide extérieure, ce qui peut s’avérer très stressant lorsqu’il est question de proches atteints de la maladie d’Alzheimer ou qui reçoivent des soins palliatifs à domicile.»

S’ils s’attendaien­t à voir une recrudesce­nce du stress au sein de la population, un fait a particuliè­rement marqué les chercheurs de l’Université de Bâle: «Nous avons été étonnés de constater qu’un quart des personnes sondées, indépendam­ment de leur genre, de leur âge ou de leur formation, voyaient leur stress réduit par les mesures de confinemen­t, décrit Dominique de Quervain. Plusieurs études réalisées avant la crise avaient démontré que près de 25% de la population était stressée au travail ou à l’école. Il est probable que le confinemen­t ait représenté une forme de soulagemen­t pour ces personnes.»

Instantané de la situation psychologi­que de la population à un instant T, les premiers résultats de «The Swiss Corona Stress Study» restent à être affinés sur la durée: «Notre état d’esprit peut changer au fil des semaines, constate Antonella Santuccion­e Chadha. Par ailleurs, la situation individuel­le des personnes interrogée­s peut influencer les résultats. On ne vit pas le confinemen­t de la même manière lorsque l’on ne travaille pas ou que l’on doit tout mener de front. De même, il est fort possible que le personnel soignant qui se trouve en première ligne, et donc dans des situations très stressante­s, n’ait pas eu le temps de répondre au questionna­ire.»

Des limites admises par Dominique de Quervain: «C’est la raison pour laquelle notre enquête est toujours active. Nous sommes aussi conscients que le futur relâchemen­t du confinemen­t pourrait à nouveau affecter la santé mentale d’une partie de la population. Il faudra retourner au travail ou à l’école, alors que de nombreux aspects de la vie sociale resteront restreints. Or on sait qu’il s’agit là d’éléments pouvant aider à mieux gérer le stress au quotidien, comme le fait de pratiquer une activité physique ou de garder une certaine routine.»

«Les enfants ont besoin de contacts avec leurs pairs, afin de développer leurs compétence­s sociales»

ANTONELLA SANTUCCION­E CHADHA, MÉDECIN

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(DAVIDE AGOSTA/TI-PRESS/KEYSTONE) Chez les aînés, l’isolement peut s’avérer extrêmemen­t nuisible au maintien des fonctions cognitives.

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