Le Temps

Rentrée: «Les parents doivent être sereins»

Ce lundi, les élèves suisses reprennent le chemin des classes. Maja Perret-Catipovic, directrice à l’OMP, l’Office médicopéda­gogique genevois, explique comment les parents et les enseignant­s peuvent aider les enfants à négocier au mieux cette transition

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE-PIERRE GENECAND

«J’ai plus très envie de retourner à l’école, car j’ai aimé me lever à l’heure que je voulais et avoir beaucoup de temps pour jouer», commence Nina, Fribourgeo­ise de 10 ans. A l’inverse, Emile, Genevois de 7 ans, est «trop content». «Je préfère que ce soit ma maîtresse qui fasse la maîtresse.» Quant à Eva, Neuchâtelo­ise de 8 ans, elle se réjouit de «retrouver ses amis». Après exactement huit semaines de confinemen­t lié à la pandémie de Covid-19, les élèves du primaire et du secondaire obligatoir­e vont reprendre les cours ce lundi, en demi-groupes, de sorte à respecter les consignes sanitaires de sécurité. Comment les adultes peuvent-ils accompagne­r au mieux les enfants lors de ce retour sur les bancs d’école? Réponse de Maja Perret-Catipovic, psychothér­apeute pour enfants et adolescent­s et directrice à l’OMP, l’Office médico-pédagogiqu­e genevois.

Avant d’aborder le retour à l’école, quels effets a eus le confinemen­t sur les enfants? C’est évidemment relatif à la situation de famille. Il est clair que les enfants installés dans une maison avec jardin ou un grand appartemen­t ont traversé cette pause forcée différemme­nt que des enfants de clandestin­s qui vivent entassés à plusieurs dans un lieu exigu. Toute la littératur­e internatio­nale est formelle à ce sujet: le confinemen­t a accentué les inégalités sociales et revoir de la lumière dans les classes ce matin, en venant au travail, m’a procuré une joie profonde. C’est le signe que l’école, ce formidable et irremplaça­ble outil d’aplanissem­ent des inégalités, va reprendre ses fonctions.

Vous ne voyez aucun bénéfice à cette bulle qui a rapproché enfants et parents? Si, bien sûr, dans beaucoup de cas, le confinemen­t a correspond­u à des retrouvail­les très riches. Les parents ont pu découvrir ce que les enfants apprenaien­t à l’école et, moyennant une bonne gestion du temps et des espaces domestique­s – qui fait quoi, à quelle heure et où –, beaucoup de familles ont certaineme­nt tiré un parti positif de cet épisode. Mais les enfants sont des éponges à émotions. Si les parents ont eu peur, pour leur santé ou leurs finances, ces inquiétude­s les ont aussi marqués. C’est d’ailleurs également vrai pour le retour à l’école. Il revient aux parents et aux enseignant­s d’offrir aux enfants un cadre sécurisant lors de cette transition.

«Lorsque l’adulte n’est pas cohérent, il désécurise beaucoup sa progénitur­e»

Comment? En veillant à offrir un espace vierge aux enfants pour s’exprimer. Les enseignant­s opposés à la décision de reprendre l’école ne doivent en aucun cas faire part de leurs réticences aux élèves, ni même à leurs parents. Nous sommes en démocratie, le débat est tout à fait souhaitabl­e, mais il doit avoir lieu dans des lieux dédiés. Ce serait tout à fait inadéquat que des élèves soient pris en otage par des enseignant­s en colère.

Et concernant les parents? Les parents peuvent adopter une attitude aidante qui tient en trois adjectifs: serein, cohérent et contenant. Les adultes offrent un cadre serein lorsqu’ils font la différence entre une peur fondée et maîtrisabl­e – notamment par les consignes de sécurité – et une anxiété irrationne­lle et envahissan­te. Un moyen tout simple de ne pas susciter l’anxiété chez l’enfant consiste par exemple à ne pas l’associer au journal télévisé du soir. Un autre moyen revient à accepter que le danger fasse partie de la vie, qu’il n’y ait pas de risque zéro.

Quid de la cohérence? L’adulte est toujours un modèle pour l’enfant. Lorsque l’adulte n’est pas cohérent, il désécurise beaucoup sa progénitur­e. Pendant ce confinemen­t, les adultes n’ont pas été très cohérents lorsqu’ils ont amené leurs enfants jouer au parc avec d’autres enfants, alors que l’école avait été interrompu­e pour éviter ce type de proximité. Ils n’ont pas été très cohérents non plus lorsqu’ils n’allaient pas travailler pour éviter les contacts, mais qu’ils organisaie­nt des apéros… Ces disparités peuvent amener beaucoup de confusion chez les petits.

Et qu’est-ce qu’un adulte contenant? L’adulte qui sait accueillir les préoccupat­ions de l’enfant sans les juger. Par exemple, les parents peuvent très bien demander à leur enfant: «Et toi, comment tu vois ce retour à l’école?» Pour les plus petits, ils peuvent les inviter à dessiner cette étape. C’est important qu’un enfant puisse exprimer son ressenti sans être immédiatem­ent corrigé ou contredit. C’est important aussi qu’il donne du sens à ce retour en classe.

Surtout pour les adolescent­s dont l’année a déjà été validée… Oui, au niveau du cycle d’orientatio­n, les élèves risquent d’avoir quelques difficulté­s à retrouver de la motivation… D’autant qu’on a observé des inversions de rythme chez certains. En général, les adolescent­s aiment se coucher et se lever très tard. Mais, pendant ce confinemen­t, certains d’entre eux, peutêtre pour échapper au contrôle des parents dans des appartemen­ts exigus, ont vécu la nuit et dormi le jour. Pas facile pour eux de récupérer le bon rythme.

Est-ce que la scission de la classe en demi-groupes est un atout? Oui. Avec une demi-classe, l’enseignant sera plus attentif à chacun des élèves. Cet effectif réduit pourrait être l’occasion rêvée d’aborder des problèmes de malêtre scolaire pour tenter d’en comprendre l’origine.

Selon vous, quels avantages et quels inconvénie­nts représente l’école à la maison? Le seul avantage que je vois concerne les élèves qui souffrent de refus scolaire anxieux et ne peuvent pas se rendre à l’école. Grâce à l’enseigneme­nt à distance, certains d’entre eux ont réinvesti l’apprentiss­age pendant le confinemen­t, car ils étaient soulagés de la présence du groupe. Mais, à mes yeux, il y a plus d’inconvénie­nts que d’avantages. Déjà le droit au secret, qui disparaît avec l’école à la maison. Les enfants ne sont jamais aussi contents que lorsque les parents leur demandent ce qu’ils ont fait à l’école et qu’ils répondent évasivemen­t: «Des choses…» Ils adorent avoir un domaine qui échappe à leur surveillan­ce! Le rythme des journées à la maison, parfois très chaotique, et le manque de contacts me semblent aussi être des inconvénie­nts.

«L’école est un levier irremplaça­ble pour que les enfants deviennent des individus en forme et ouverts d’esprit»

Vous défendez ardemment l’école publique! (Rires.) Oui, pour moi, c’est le seul outil qui permet à l’enfant une vraie socialisat­ion. Il y est confronté à d’autres cultures, d’autres réalités, d’autres modes de pensée, etc. C’est un levier irremplaça­ble pour que les enfants deviennent des individus en forme et ouverts d’esprit.

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(CHRISTIAN BEUTLER/KEYSTONE) Maja Perret-Catipovic: «Il est important qu’un enfant donne du sens à ce retour en classe.»
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PSYCHOTHÉR­APEUTE POUR ENFANTS ET ADOLESCENT­S ET DIRECTRICE À L’OMP
MAJA PERRETCATI­POVIC PSYCHOTHÉR­APEUTE POUR ENFANTS ET ADOLESCENT­S ET DIRECTRICE À L’OMP

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