Sexe, mensonges et minorités: c’est «Hollywood»
SÉRIE TV Pour sa deuxième création Netflix, Ryan Murphy réinvente l’âge d’or des grands studios pour défendre l’idée d’un système inclusif et humaniste
Et l’Oscar du meilleur film est attribué à… Le Mur invisible, produit par Darryl F. Zanuck et réalisé par Elia Kazan. Au soir du 20 mars 1948, le Shrine Auditorium de Los Angeles accueillait la 20e cérémonie des Academy Awards. Le palmarès fut équilibré puisque aucun film ne reçut plus de trois récompenses. La voici aujourd’hui recréée – avec quelques surprises à la clé… – pour les besoins de la mini-série Hollywood, dévoilée en fin de semaine dernière par Netflix. Et dont il est impossible de parler sans en dévoiler les grands axes de tension narrative. Alerte divulgâchage, donc.
Le cinéma américain a toujours aimé se pencher sur sa propre mythologie. De Vincente Minnelli (Les Ensorcelés, 1952) à Tom DiCillo (Ça tourne à Manhattan, 1995), nombreux sont les réalisateurs à avoir raconté des histoires de producteurs pas forcément vertueux, de stars capricieuses et autodestructrices. C’est dans cette lignée que s’inscrit Ryan Murphy avec les sept épisodes d’Hollywood, sa nouvelle création après Nip/Tuck, Glee, American Horror Story ou The Politician.
Une station, plusieurs services
On y suit d’abord Jack Castello, jeune vétéran de la Seconde Guerre mondiale, marié trop tôt et rêvant de voir son nom en haut de l’affiche. Problème, il n’a aucune formation de comédien, et un talent assez limité. Pour gagner sa vie, il se retrouve pompiste dans la station-service d’Ernie West, play-boy sur le retour qui s’est fait une spécialité d’attirer de riches clientes en leur offrant les faveurs sexuelles de ses jeunes et beaux employés en même temps que le plein.
Jack n’avait pas prévu de se prostituer, mais sa première cliente est l’épouse du patron des studios Ace – major fictive évoquant les puissantes sociétés de l’âge d’or: MGM, Paramount, RKO. Tout en multipliant les références à des personnalités et des films réels, les deux premiers épisodes s’intéressent dans une forme chorale à une dizaine de personnages dont les destins s’imbriqueront. Mise en place plaisante, malgré le côté un peu kitsch de la reconstitution.
Mais l’essentiel n’est pas là. Pour Murphy, ce qui compte, c’est en effet de réinventer une époque, d’élaborer une stimulante uchronie dans laquelle une actrice et un scénariste afro-américains, deux femmes d’un certain âge et un producteur gay refoulé imposeront aux Ace Studios leur vision d’une Amérique multiculturelle et inclusive, contrevenant ainsi au code Hays, quelque 70 ans avant #MeToo et les débats autour de la représentativité des minorités qui secouent enfin le système patriarcal hollywoodien.
Certains personnages ont existé: Hattie McDaniel, première actrice noire à avoir remporté un Oscar mais qui aura passé sa vie à incarner des servantes; Anna May Wong, première star d’origine asiatique, elle aussi cantonnée à des rôles stéréotypés. On apercevra furtivement Vivien Leigh, Tallulah Bankhead, Eleanor Roosevelt, George Cukor, Noël Coward. Et parmi les rôles principaux, en concurrent mais néanmoins ami de Jack, c’est un jeune premier qu’un agent renommera Rock Hudson qui fait figure d’assise historique. Tout en faisant son coming out de manière précoce, bien avant de devenir en 1985 une des premières célébrités hollywoodiennes à mourir du sida. L’émouvant Ernie West, magnifiquement incarné par Dylan McDermott, est, lui, librement inspiré de Scotty Bowers, père maquereau jadis bien connu du Tout-Hollywood.
Elle emprunte parfois des détours faciles et n’évite pas certains clichés, mais la série emporte l’adhésion par la manière dont elle met en scène un âge d’or fantasmé, tout en décrivant assez justement le fonctionnement de l’ère des grands studios – producteurs trop puissants, petits arrangements entre amis, acteurs prisonniers de contrats longue durée. Les trois derniers épisodes, qui quittent le registre de la tragicomédie pour un ton plus mélodramatique, sont les plus réussis.
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