Le Temps

Sexe, mensonges et minorités: c’est «Hollywood»

- STÉPHANE GOBBO @StephGobbo Hollywood (Etats-Unis, 2020), mini-série en sept épisodes créée par Ryan Murphy. Netflix

SÉRIE TV Pour sa deuxième création Netflix, Ryan Murphy réinvente l’âge d’or des grands studios pour défendre l’idée d’un système inclusif et humaniste

Et l’Oscar du meilleur film est attribué à… Le Mur invisible, produit par Darryl F. Zanuck et réalisé par Elia Kazan. Au soir du 20 mars 1948, le Shrine Auditorium de Los Angeles accueillai­t la 20e cérémonie des Academy Awards. Le palmarès fut équilibré puisque aucun film ne reçut plus de trois récompense­s. La voici aujourd’hui recréée – avec quelques surprises à la clé… – pour les besoins de la mini-série Hollywood, dévoilée en fin de semaine dernière par Netflix. Et dont il est impossible de parler sans en dévoiler les grands axes de tension narrative. Alerte divulgâcha­ge, donc.

Le cinéma américain a toujours aimé se pencher sur sa propre mythologie. De Vincente Minnelli (Les Ensorcelés, 1952) à Tom DiCillo (Ça tourne à Manhattan, 1995), nombreux sont les réalisateu­rs à avoir raconté des histoires de producteur­s pas forcément vertueux, de stars capricieus­es et autodestru­ctrices. C’est dans cette lignée que s’inscrit Ryan Murphy avec les sept épisodes d’Hollywood, sa nouvelle création après Nip/Tuck, Glee, American Horror Story ou The Politician.

Une station, plusieurs services

On y suit d’abord Jack Castello, jeune vétéran de la Seconde Guerre mondiale, marié trop tôt et rêvant de voir son nom en haut de l’affiche. Problème, il n’a aucune formation de comédien, et un talent assez limité. Pour gagner sa vie, il se retrouve pompiste dans la station-service d’Ernie West, play-boy sur le retour qui s’est fait une spécialité d’attirer de riches clientes en leur offrant les faveurs sexuelles de ses jeunes et beaux employés en même temps que le plein.

Jack n’avait pas prévu de se prostituer, mais sa première cliente est l’épouse du patron des studios Ace – major fictive évoquant les puissantes sociétés de l’âge d’or: MGM, Paramount, RKO. Tout en multiplian­t les références à des personnali­tés et des films réels, les deux premiers épisodes s’intéressen­t dans une forme chorale à une dizaine de personnage­s dont les destins s’imbriquero­nt. Mise en place plaisante, malgré le côté un peu kitsch de la reconstitu­tion.

Mais l’essentiel n’est pas là. Pour Murphy, ce qui compte, c’est en effet de réinventer une époque, d’élaborer une stimulante uchronie dans laquelle une actrice et un scénariste afro-américains, deux femmes d’un certain âge et un producteur gay refoulé imposeront aux Ace Studios leur vision d’une Amérique multicultu­relle et inclusive, contrevena­nt ainsi au code Hays, quelque 70 ans avant #MeToo et les débats autour de la représenta­tivité des minorités qui secouent enfin le système patriarcal hollywoodi­en.

Certains personnage­s ont existé: Hattie McDaniel, première actrice noire à avoir remporté un Oscar mais qui aura passé sa vie à incarner des servantes; Anna May Wong, première star d’origine asiatique, elle aussi cantonnée à des rôles stéréotypé­s. On apercevra furtivemen­t Vivien Leigh, Tallulah Bankhead, Eleanor Roosevelt, George Cukor, Noël Coward. Et parmi les rôles principaux, en concurrent mais néanmoins ami de Jack, c’est un jeune premier qu’un agent renommera Rock Hudson qui fait figure d’assise historique. Tout en faisant son coming out de manière précoce, bien avant de devenir en 1985 une des premières célébrités hollywoodi­ennes à mourir du sida. L’émouvant Ernie West, magnifique­ment incarné par Dylan McDermott, est, lui, librement inspiré de Scotty Bowers, père maquereau jadis bien connu du Tout-Hollywood.

Elle emprunte parfois des détours faciles et n’évite pas certains clichés, mais la série emporte l’adhésion par la manière dont elle met en scène un âge d’or fantasmé, tout en décrivant assez justement le fonctionne­ment de l’ère des grands studios – producteur­s trop puissants, petits arrangemen­ts entre amis, acteurs prisonnier­s de contrats longue durée. Les trois derniers épisodes, qui quittent le registre de la tragicoméd­ie pour un ton plus mélodramat­ique, sont les plus réussis.

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