La pandémie a redonné de la valeur à la monogamie
Rigide, ringard, encombrant, routinier: il y a encore deux mois, le couple monogame traditionnel était attaqué de toutes parts. A la faveur de la pandémie, les choses ont pourtant bien changé
Souvenez-vous: il y a encore deux mois, le couple monogame traditionnel était attaqué de toutes parts. Trop rigide, trop encombrant, trop routinier. Ses détracteurs moquaient un modèle ringard, hérité du XIXe siècle, en perte de vitesse face à la tentation de la séparation, du divorce, de la non-cohabitation, du célibat. Menaces auxquelles il fallait encore ajouter les organisations de couple plus souples: polyamour, unions libres, voire libertines.
Retour au temps présent: s’il est impossible d’affirmer que la monogamie a sauvé des vies, on peut raisonnablement observer qu’elle offre un filet de sécurité émotionnel, financier, domestique et sanitaire supérieur aux autres formes d’attachement. Les chiffres français publiés le mardi 5 mai (étude Ifop/Charles.co) laissent d’ailleurs peu de place au doute: après six semaines de confinement, 30% des couples estiment que cette expérience les a rapprochés, contre seulement 10% qui ont vu leurs rapports se dégrader.
Précieux couteau suisse
Quid de la vague de ruptures attendue? Parlons plutôt d’une vaguelette: 7% des co-confinés auront besoin d’un break provisoire, tandis que 4% prévoient une rupture définitive. Ces «perdants» du confinement appartiennent sans surprise aux catégories les plus vulnérables: étudiants, chômeurs, jeunes couples, reclus dans des petits appartements… Comment expliquer ce triomphe du couple? Eh bien, par ce paradoxe voulant que nos plus grandes faiblesses constituent aussi nos plus grandes forces. En l’occurrence, on a beaucoup reproché à la monogamie son côté couteau suisse: nos partenaires occupent simultanément les rôles d’amant, de co-parent, de coach, de bon copain, de confident, d’investisseur financier, de psy, voire d’auxiliaire de vie. Habituellement, ça fait beaucoup. Mais face au risque vital, force est de constater que nous sommes bien contents de disposer, à domicile, d’une personne capable d’apaiser nos angoisses de la main gauche, tout en préparant une tarte aux tomates confites de la main droite.
Liberté vs sécurité
Même remarque pour l’engagement, dont la dimension sacrificielle a pu paraître trop contraignante… mais qui permet de tenir pendant les coups durs. On pourrait oser une comparaison avec l’épidémie du VIH, qui a freiné la libération sexuelle des années 1970, mais qui a aussi abouti au mariage des gays et des lesbiennes. La maladie a créé une exigence de légitimité s’étendant bien au-delà de la génération originellement concernée. Ce qu’on perd en liberté se gagne en sécurité: signe de nos priorités?
A ce titre, les formes de sexualités alternatives «classiques» (centrées sur une expansion du sexe, mais pas des sentiments) auront du souci à se faire – avec des lieux libertins qui ne rouvriront pas de sitôt. A l’inverse, les sexualités alternatives «modernes» (expansion du sexuel et du romantique) tirent leur épingle du jeu – notamment le polyamour, qui permet de maintenir un lien émotionnel fort, fondé sur la confiance et l’honnêteté. Seul problème: les partenaires ne sont pas toujours physiquement là.
Voilà qui nous amène à un autre bénéfice du couple cohabitant: la présence. Selon l’étude Covid19 Social Monitor, 9% des Suisses se sentent seuls – or cette solitude constitue un facteur aggravant lors des périodes de crise. A la question des rapports sexuels (volontiers décortiquée dans les médias) s’ajoute donc la question des rapports affectifs, et particulièrement du toucher, dont les vertus pour nos hormones sont bien connues. Face à ce besoin fondamental, les réseaux sociaux consolent mais démontrent leurs limites.
Tout est-il parfait pour autant? Certainement pas. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les divorces pourront, jusqu’au 30 septembre, se régler par visioconférence: la pandémie multiplie les situations d’urgence (la ligne d’écoute d’urgence cantonale de Genève reçoit ainsi deux fois plus d’appels que d’habitude). Cependant, relativisons: les chiffres de la violence en Suisse restent stables du côté des déclarations de police comme des services sociaux.
Le noeud du problème
Nous abordons alors le noeud du problème: si la pandémie valide l’utilité du couple, elle en fait également ressortir le caractère inégalitaire. Les unions qui se portaient bien se sont vues renforcées, les plus fragiles ont été doublement pénalisées.
Quant aux couples récents ou incertains, ils traversent un véritable baptême du feu. Cette situation comporte d’ailleurs des bénéfices: au moins, la question de la compatibilité est résolue! Les amants de fraîche date se découvrent dans la peur comme dans l’héroïsme, dans l’épuisement comme dans la générosité. Ils ont l’occasion de vérifier si les petits défauts, très supportables deux heures par jour, deviennent rédhibitoires après une longue cohabitation. Ensuite, selon la logique du quitte ou double, soit on règle les problèmes, soit on craque.
Si la pandémie valide l’utilité du couple, elle en fait également ressortir le caractère inégalitaire. Les unions qui se portaient bien se sont vues renforcées, les plus fragiles ont été doublement pénalisées
Selon l’étude Covid-19 Social Monitor, 9% des Suisses se sentent seuls – or cette solitude constitue un facteur aggravant lors des périodes de crise
Parlons d’ailleurs des moments où le tissage relationnel commence à craquer: la monogamie se porte mieux sur le long terme (avec ou sans pandémie) quand elle s’accommode de soupapes émotionnelles. Habituellement, le monde extérieur permet de relâcher la pression: le travail, le sport, les amis, etc.
Compétences relationnelles
Mais comment souffler sans ces moments de liberté? En les cherchant ailleurs. Selon une enquête menée par la RTS en Suisse, la consommation de pornographie a baissé sur le territoire national. Elle a en revanche augmenté en France. Par ailleurs, on ne se refait pas: 4% des Français confinés en couple ont flirté par SMS ou messagerie avec une autre personne. Quant aux Allemands, ils ont augmenté d’un tiers leurs achats de vins et d’alcools forts. Chacun son échappatoire!
Faut-il en arriver là? Non, évidemment. Mais force est d’admettre que les autres soupapes, basées sur les compétences relationnelles, ne sont pas forcément accessibles: tout le monde n’a pas le sens de l’humour, ni la patience permettant de communiquer sans violence, ni la bonne volonté nécessaire aux négociations.
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