Le Temps

Genève allonge des millions pour sauver le Salon de l’auto

Une propositio­n émanant de l’exécutif cantonal prévoit un prêt pour sauver le rendez-vous genevois de la voiture. Elle implique un contrôle sur le concept de la manifestat­ion, ce à quoi les organisate­urs sont opposés

- RACHEL RICHTERICH @RRichteric­h Once d’or/dollar

Le Conseil d’Etat genevois va soumettre au Grand Conseil un projet de prêt de 17 millions pour dédommager les exposants et tenter de sauver le Salon de l’auto, mis à mal par la pandémie de Covid-19, a appris Le Temps. Pierre Maudet, à l’origine de l’initiative, explique: «C’est un pari sur l’avenir, puisqu’on ne sait pas encore de quoi 2021 sera fait, y compris sur le plan sanitaire. Mais qui est porteur d’espoir pour tout un pan de l’économie genevoise.»

Ça a été le premier choc de la crise. A moins d’une semaine de l’ouverture des portes, tandis que les camions livraient les voitures devant les halles de Palexpo, on apprenait l’annulation de l’édition du Salon de l’automobile de Genève. Une décision tombée le 28 février, à la suite de l’interdicti­on de tout rassemblem­ent de plus de 1000 personnes par le Conseil fédéral, qui marquait la première d’une cascade d’annulation­s. Et ouvrait une période sombre pour l’événementi­el et l’ensemble de la branche du tourisme.

Aujourd’hui, c’est pour endiguer ces difficulté­s économique­s que le canton veut sauver son salon, en prêtant près de 17 millions de francs à ses organisate­urs, a appris Le Temps. Problème: les conditions pour bénéficier de l’argent déplaisent aux organisate­urs.

«C’est un pari sur l’avenir, puisqu’on ne sait pas encore de quoi 2021 sera fait, y compris sur le plan sanitaire. Mais qui est porteur d’espoir pour tout un pan de l’économie genevoise dépendant des salons et les milliers d’emplois qui y sont liés», avance Pierre Maudet, conseiller d’Etat genevois chargé du développem­ent économique (DDE), initiateur de la propositio­n.

Celle-ci prévoit le versement de 16,8 millions de francs à la fondation du Salon de l’auto (GIMS) sous forme de prêt à rembourser dès fin juin 2021 et d’ici à 2037. Le taux d’intérêt est au minimum égal au taux d’intérêt moyen de la dette de l’Etat de Genève, soit autour de 1,6%. De son côté, l’organisate­ur de la manifestat­ion mettrait en gage sa part de 7% dans le capital de Palexpo (détenu à 80% par l’Etat de Genève), correspond­ant au montant de l’emprunt. Le projet de loi urgent sera soumis au vote des députés du Grand Conseil, en session dès lundi.

Constructe­urs échaudés

«Une partie de la somme doit permettre d’indemniser les exposants. Nous avons besoin d’eux pour envisager une suite», a précisé au téléphone jeudi Maurice Turrettini, président de la fondation du GIMS, évoquant des «frustratio­ns compréhens­ibles» de leur part. Il n’était pas en mesure de chiffrer les montants, «cela dépendra de ce qui va être négocié», poursuit-il. L’ex-directeur du salon, Olivier Rihs, dont cette 90e édition devait être la première et la dernière avant son départ fin mars pour TX Group (ex-Tamedia), avait estimé jusqu’à 15 millions les pertes liées aux dédommagem­ents – il est remplacé depuis le début du mois par Sandro Mesquita, 45 ans, lui aussi issu du milieu du marketing.

«Les constructe­urs sont passableme­nt échaudés par les circonstan­ces de l’annulation, intervenue tardivemen­t», analyse Philippe Clément, journalist­e spécialisé dans l’automobile. Les quelques importateu­rs sondés n’ont pas souhaité s’exprimer sur les pertes qu’elle a entraînées, ni sur leur présence future.

La liste des exposants n’a cessé de se réduire ces dernières années – Ford, Volvo, Lamborghin­i, etc., tandis que la fréquentat­ion est passée d’un pic de 720000 visiteurs au début des années 2000 à tout juste 600000. Cette année devait d’ailleurs être celle du renouveau, avec notamment l’inaugurati­on d’un circuit d’essai pour tester des véhicules électrique­s. «La nouvelle direction va devoir faire preuve de diplomatie pour les convaincre de revenir», poursuit Philippe Clément. D’autant que les constructe­urs ont entre-temps pu tester de nouveaux canaux de communicat­ion pour présenter leurs nouveautés à la presse et au grand public, note encore le spécialist­e. Notamment le visionnage en ligne et en direct.

Mainmise sur le salon

Mais avant cela, elle va devoir trouver un accord avec le canton sur un point du projet de loi qu’elle juge problémati­que: celui-ci prévoit la sous-traitance de la conceptual­isation du GIMS à Palexpo, selon des modalités approuvées par l’Etat. «Nous refusons toute mainmise de Palexpo sur l’organisati­on du salon. Les importateu­rs [représenta­nt les exposants, ndlr] nous ont avertis qu’ils ne nous suivraient pas si c’était le cas», balaie Maurice Turrettini. Ainsi, même si le crédit était validé lundi par les députés, il serait refusé par la fondation du GIMS, affirme son président, qui espère obtenir gain de cause d’ici là.

Rien ne garantit la tenue du salon en 2021 à ce stade, concède Pierre Maudet. Mais de la survie de la manifestat­ion dépend la santé de Palexpo, qui en tire près d’un tiers de ses revenus (totalisant 94 millions en 2018, les chiffres de 2019 sont attendus en juin). «Les halles ont été conçues pour accueillir le Salon de l’auto. Une disparitio­n de la manifestat­ion menacerait inévitable­ment Palexpo», confiait récemment au Temps son directeur, Claude Membrez.

Le centre de congrès, avec ses salons grand public, comme l’automobile ou les automnales, mais aussi profession­nels, avec l’horlogerie, est jugé crucial pour la santé économique du canton, insiste Pierre Maudet: «Chaque année, ces événements génèrent 600 millions de francs de retombées. De leur tenue dépendent directemen­t et indirectem­ent des milliers d’emplois pour les acteurs de l’événementi­el, mais aussi pour l’hôtellerie, la restaurati­on, les transports, le commerce de détail, des secteurs très lourdement touchés par la crise du Covid-19.»

En termes de recettes fiscales, la manne atteint près de 40 millions. Le sauvetage aurait en outre une valeur symbolique, selon le conseiller d’Etat: «L’annulation du salon a été un marqueur du début de la crise. Sa tenue l’an prochain serait le premier signe d’un redémarrag­e.»

«C’est un pari sur l’avenir, puisqu’on ne sait pas encore de quoi 2021 sera fait, y compris sur le plan sanitaire» PIERRE MAUDET, CONSEILLER D’ÉTAT GENEVOIS

 ?? (PIERRE ALBOUY/REUTERS) ?? La décision d’annuler l’édition 2020 du Salon de l’auto est tombée alors que les exposants terminaien­t le montage de leurs stands.
(PIERRE ALBOUY/REUTERS) La décision d’annuler l’édition 2020 du Salon de l’auto est tombée alors que les exposants terminaien­t le montage de leurs stands.

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