Le Temps

Coronaviru­s et travail: l’opportunit­é de changer

- JULIE EIGENMANN @julie_eigenmann

Le monde du travail n’avait jamais été si rapidement bouleversé. Depuis la mi-mars, nous avons expériment­é, contraints, des pratiques profession­nelles inédites pour beaucoup, à commencer par le télétravai­l. Pour nombre d’entre nous, cela a été l’occasion de réaliser que, oui, il est possible d’exercer son métier depuis son domicile, et qu’éviter les trajets ou passer plus de temps en famille a des effets positifs sur la qualité de vie.

Mais cette expérience a aussi permis de se rendre compte que nos collègues nous manquaient, que les séances en ligne ne vaudraient jamais les réunions en présentiel ou que l’absence de limite entre vie privée et vie profession­nelle rendait notre quotidien plus épuisant encore.

Quelles leçons tirer, donc, de cette expérience à grande échelle du télétravai­l? La première: de ne pas revenir en arrière. Cela ne signifie pas poursuivre le télétravai­l à 100%, privilégie­r les réunions virtuelles ou conserver automatiqu­ement les nouveaux procédés mis en place pendant cette période. Cela signifie repenser le bien-fondé des règles et habitudes qui faisaient nos organisati­ons et nos entreprise­s avant la crise. Cela signifie ne plus refuser le travail à domicile par principe, comme le faisaient nombre de dirigeants. Mais aussi envisager le coworking pour des employés qui souhaitera­ient travailler plus près de chez eux. Renoncer à faire un aller-retour à Londres dans la journée pour une réunion d’une heure qui pourrait se faire en ligne. Introduire durablemen­t des outils et pratiques numériques. Se soucier davantage de ce que vivent ses collègues. Revalorise­r des profession­s souvent dépréciées dont on a réalisé l’importance pour le bon fonctionne­ment de notre société.

Même si cette crise est tragique, elle se présente comme une expériment­ation unique, et comme l’occasion ou jamais de mettre fin à des pratiques qui ne correspond­ent plus à notre société. Et d’en entamer de nouvelles. Car ces nouveaux modes de travail, plus flexibles, s’avèrent meilleurs à la fois pour la planète et pour notre équilibre personnel. Et donc meilleurs aussi pour les entreprise­s, qui ont tout à gagner à suivre cette direction.

Il ne s’agit pas de tout transforme­r, mais simplement de ne pas revenir au bureau comme si rien ne s’était passé. D’autant que le déconfinem­ent va être progressif, impliquer une distanciat­ion sociale et qu’un retour en arrière ne peut pas être exclu.

Le monde du travail n’avait jamais été si rapidement bouleversé. A nous, maintenant, de savoir en tirer parti.

Il ne s’agit pas de tout transforme­r

La pandémie suscite de nombreuses questions sur le droit aux vacances. Remontons aux principes.

Selon l’article 329c al. 2 CO, l’employeur fixe la date des vacances en tenant compte des désirs du travailleu­r dans la mesure compatible avec les intérêts de l’entreprise. Il en découle deux principes: d’une part, la date des vacances ne dépend pas d’un accord entre l’employeur et le salarié, mais d’une décision de l’employeur; d’autre part, l’employeur doit tenir compte des désirs du travailleu­r, mais les intérêts de l’entreprise sont déterminan­ts.

Le premier but des vacances est le repos. Selon la jurisprude­nce, une incapacité médicale compromet en principe le but des vacances, qui doivent alors être reportées. Le parallèle entre une incapacité médicale et les restrictio­ns résultant de la crise n’est nullement automatiqu­e. Certes, il est souhaitabl­e que les vacances soient pleinement épanouissa­ntes. Cependant, aussi longtemps que le repos est effectif, le salarié, en période de crise, doit admettre une limitation du choix de ses activités.

En traitant ci-dessous quelques questions, rappelons-nous que sont seules déterminan­tes les circonstan­ces de chaque cas particulie­r.

Le confinemen­t est-il, en soi, incompatib­le avec la prise de vacances déjà fixées? Non, a priori. En effet, des difficulté­s affectant l’accès à des destinatio­ns touristiqu­es ne sont pas assimilabl­es à une incapacité médicale interdisan­t un repos effectif. De plus, même s’il constitue un inconvénie­nt important, le fait de rester chez soi (tout en conservant la possibilit­é de sortir, plus large qu’en France) n’empêche pas le repos et la récupérati­on. On en jugera autrement, par exemple, lorsque les conditions de logement sont difficiles ou que le travailleu­r est tenu de participer à l’apprentiss­age scolaire d’enfants mineurs.

L’employeur peut-il imposer des vacances cet été, pendant une période creuse, en attendant une reprise? A priori, oui. Doit-il fixer ces vacances trois mois à l’avance? C’est la règle retenue par le Conseil fédéral dans le domaine des transports publics. Toutefois, cette ordonnance du Conseil fédéral, relative à une loi spéciale, ne l’emporte nullement sur la loi générale – le Code des obligation­s – dont on a vu qu’elle est plus souple. En s’abstenant de fixer un délai, le législateu­r savait ce qu’il faisait. La règle des trois mois n’a donc rien d’impératif dans le secteur privé, même si elle est recommanda­ble en temps normal. Un délai plus court (un ou deux mois) se justifiera, selon les cas, dans la situation extraordin­aire que nous connaisson­s.

L’employeur peut-il refuser la prise de vacances cet été? A priori, oui. Pendant une crise comme celle que nous vivons, l’entreprise sera amenée à réduire les pertes, selon les circonstan­ces, en facilitant la reprise ou en rattrapant le travail en retard. Pour que l’intérêt de l’entreprise l’emporte, il n’est pas nécessaire que celle-ci se trouve au bord de l’insolvabil­ité. Il suffit que le travail soit nécessaire au retour à une situation normale. Dans des cas graves, l’employeur sera aussi fondé à reporter des vacances déjà fixées.

L’employeur peut-il repousser à l’automne prochain ou à l’hiver les vacances non encore fixées? Encore oui. Le délai de trois mois serait largement respecté. Les besoins de l’entreprise, lorsque son chiffre d’affaires a notablemen­t baissé, peuvent justifier la recherche d’un plein rendement jusqu’en hiver.

La loi n’est pas rigide. Elle favorise les solutions équitables, qui supposent parfois le partage des inconvénie­nts.

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GABRIEL AUBERT

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