Le Temps

Complotism­e et fusil d’assaut, ou les extrémiste­s du déconfinem­ent

Miliciens armés, anti-vaccins, complotist­es et suprémacis­tes blancs: les manifestat­ions pour lever les restrictio­ns imposées par le coronaviru­s regroupent une curieuse galaxie de citoyens. Un cocktail explosif?

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

La pandémie a déjà fait plus de 70000 morts aux Etats-Unis, Donald Trump est impatient de relancer l'économie, mais des Américains veulent aller encore plus vite. Ces derniers jours, dans plusieurs Etats, des manifestat­ions anti-confinemen­t ont frappé par la violence des images qu'elles fournissen­t. Qui sont ces Américains en colère, parfois lourdement armés, agitant des pancartes aux slogans agressifs, au milieu d'affiches pro-Trump? Aux côtés de simples citoyens en difficulté­s financière­s pressés de retourner au travail, ultra-conservate­urs, complotist­es et militants anti-vaccins se côtoient. De quoi composer un cocktail potentiell­ement explosif.

Jeudi, Dayna Polehanki n'en revenait pas. En pleine session parlementa­ire, des manifestan­ts armés sont entrés dans le Capitole de l'Etat du Michigan, à Lansing, alors que les députés se penchaient sur la prolongati­on des mesures de restrictio­n demandée par la gouverneur­e. La sénatrice démocrate a tweeté une photo de costauds gaillards postés dans une galerie. «Juste au-dessus de moi, des hommes armés de fusils nous crient dessus. Certains de mes collègues qui possèdent des gilets pare-balles les portent», écrit-elle. D'autres cherchaien­t à entrer directemen­t dans la salle, après avoir entonné l'hymne national. Dans plusieurs Etats, le port d'armes est autorisé même à l'intérieur des bâtiments publics. C'est le cas dans le Capitole de l'Etat du Michigan.

La scène choque. La menace est directe. Sur son site, Jim Ananich, le leader de la minorité démocrate, condamne cette irruption. «Cette manifestat­ion n'avait rien à voir avec le confinemen­t, c'était

«C’était l’occasion pour un petit groupe de personnes de montrer leurs croix gammées» JIM ANANICH, LEADER DE LA MINORITÉ DÉMOCRATE AU SÉNAT DU MICHIGAN

l'occasion pour un petit groupe de personnes – dont très peu respectaie­nt la distanciat­ion sociale ou portaient des masques – de montrer leurs croix gammées, drapeaux de Confédérés, noeuds coulants suspendus aux voitures et pancartes appelant au meurtre. Menacer la police, le personnel, la presse et les élus du Capitole n'est pas notre façon de faire ici dans le Michigan.» Donald Trump a qualifié ces manifestan­ts de «très bonnes gens». Le 17 avril, le président avait apporté son soutien, via Twitter, aux protestati­ons anti-confinemen­t, appelant à «libérer le Michigan, la Virginie et le Minnesota», trois Etats dirigés par des démocrates. Ce qui revient à encourager des révoltes.

Mot d’ordre: contaminer

Ce genre de manifestat­ions attire aussi des extrémiste­s de droite qui espèrent recruter, alors que la consultati­on de sites ad hoc sur internet augmente avec le confinemen­t. Alex Jones, tête de proue de l'extrême droite américaine, et fondateur du site Infowars, dont Donald Trump retweete parfois des messages, était lui-même présent à la protestati­on du 18 avril à Austin, au Texas. Il a été vu serrant des mains à des manifestan­ts. Alex Jones avait lancé un appel à manifester via son site connu pour ses thèses complotist­es. Selon des sources policières relayées par plusieurs médias, des suprémacis­tes blancs veulent utiliser le virus comme arme biologique et en font état sur Telegram, une applicatio­n de messagerie sécurisée. Ces plans ont été évoqués lors d'un briefing du Départemen­t de la sécurité intérieure. Le mot d'ordre, en cas d'infection, est de contaminer les forces de l'ordre et les non-Blancs, par exemple en laissant de la salive sur des poignées de portes.

Les anti-vaccins montent aussi au front. Vendredi, un rallye organisé par des activistes de la «Freedom Angels Foundation» a par exemple eu lieu à Sacramento, en Californie. Les responsabl­es de santé publique constatent que leur présence est toujours plus forte et s'en inquiètent. Enfin, dernière catégorie: les complotist­es. Comme les adeptes de QAnon, un mouvement apparu dans le sillage des attentats du 11 septembre 2001, mais qui s'est surtout développé sous la présidence Trump. Facebook vient de supprimer plusieurs comptes de ce groupe propageant des thèses conspirati­onnistes.

Si ces groupuscul­es peuvent avoir des intentions et revendicat­ions de base différente­s, certains profitant des inquiétude­s liées à la pandémie pour donner de la voix, ils sont finalement assez poreux, unis par un sentiment de liberté entravée et d'injustice. Cité dans le New York Times, Devin Burghart, responsabl­e d'un institut basé à Seattle qui s'intéresse aux groupes d'extrême droite, parle «d'énorme pollinisat­ion croisée des idées à mesure que ces factions apprennent à se connaître». C'est bien le principal danger de ces manifestat­ions, pour l'instant encore marginales.

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(AARON LAVINSKY/STAR TRIBUNE VIA AP) ÉTATS-UNIS Comme ici dans le Minnesota, des citoyens associés à divers mouvements suprémacis­tes demandent, arme au poing, que Donald Trump accélère le déconfinem­ent.
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(PAUL SANCYA/AP PHOTO) Manifestat­ion de néonazis le 15 avril devant le parlement de l’Etat du MIchigan.

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