Les orteils gonflés, symptôme du Covid-19?
La présence de bosses violacées sur les doigts de pied de certains patients est présentée comme un symptôme possible de la maladie. Mais les lésions cutanées liées au coronavirus sont bien plus nombreuses
Toux, fièvre, difficultés respiratoires, perte du goût et de l’odorat… Depuis le début de la pandémie, de multiples symptômes du Covid-19 ont été identifiés. La présence de lésions de la peau chez certains malades attire actuellement l’attention médicale et médiatique. A travers le monde, des dermatologues ont signalé la présence d’atteintes cutanées chez des patients au niveau des pieds. Surnommées Covid toes («orteils Covid» en anglais), ces lésions présentent parfois le même aspect que des engelures causées par le froid, soit des bosses et des gonflements rouges ou violacés douloureux au niveau des extrémités des pieds (orteils, talons).
«Nous avons observé des éruptions variées, atteignant le dos et le thorax, mais aussi s’étendant aux bras et aux jambes» LAURENCE TOUTOUS-TRELLU, RESPONSABLE DE LA CONSULTATION DES MALADIES INFECTIEUSES
DE LA PEAU AUX HUG
Début avril, un communiqué du Syndicat français des dermatologues-vénéréologues alertait sur des symptômes cutanés pouvant être associés au Covid-19 et se manifestant sur la peau.
Ces lésions ont aussi été observées en Suisse aux HUG et au CHUV. «A Genève, nous avons observé des éruptions variées, pseudo-varicelleuses, atteignant le dos et le thorax, mais aussi urticariennes ou inflammatoires s’étendant aux bras et aux jambes. Les signes cutanés surviennent chez des patients qui nécessitent une hospitalisation pour des problèmes respiratoires, mais aussi pour des infections Covid-19 moins sévères. Nous y sommes confrontés depuis les premiers cas hospitalisés fin février», souligne Laurence Toutous-Trellu, médecin adjointe agrégée, responsable de la consultation des maladies infectieuses de la peau au Service de dermatologie et vénérologie des HUG.
Les Covid toes ont particulièrement attiré l’attention parce qu’ils sortent de l’ordinaire. «Les engelures apparaissent normalement en hiver, dans une ambiance humide. La particularité, c’est que ces lésions se présentent alors que l’on bénéficie d’un printemps presque estival, et qu’elles apparaissent dans certains cas isolément, sans être accompagnées de signes respiratoires, précise Laurence Toutous-Trellu.
Une nouveauté
Ces lésions sont aussi connues dans certaines maladies auto-immunes, alors qu’ici nous sommes dans le cadre d’une infection, ce qui est une nouveauté.» Toutefois, ces pseudos-engelures ne sont pas les seules manifestations de la maladie observées au niveau de la peau.
Des chercheurs espagnols ont publié le 29 avril dans le British Journal of Dermatology une étude menée sur 375 patients pour identifier les différentes affections dermatologiques observées chez des malades du Covid-19. Les auteurs font état de cinq manifestations différentes au niveau de la peau. Les pseudo-engelures représentaient 19% des cas.
Dans 47% des cas, les patients présentaient des lésions maculo-papuleuses (petites taches qui s’élèvent sur la peau, insensibles et ne renfermant pas de liquide), 19% des lésions urticariennes (oedème de la peau accompagné de démangeaison) et 9% d’autres éruptions vésiculeuses (renflement de la peau contenant du liquide, comme la varicelle). «Ces lésions sont moins spécifiques au Covid-19, puisqu’elles peuvent aussi apparaître dans d’autres types d’infections virales», note Michel Gilliet, médecin-chef du
Service de dermatologie et vénérologie du CHUV.
La cinquième manifestation cutanée observée dans 6% des cas par les chercheurs espagnols attire elle aussi l’attention. Appelée
livedo, elle prend la forme de marbrures violacées formant un maillage sur la peau. «Comme les engelures, elles sont probablement dues à une vasculite, une inflammation des vaisseaux de la peau, soit à une occlusion de ces vaisseaux», détaille Michel Gilliet.
Si ces lésions commencent à être documentées, de nombreuses questions restent en suspens. Les pseudo-engelures semblent apparaître plutôt chez des patients jeunes, ne présentant pas forcément d’autres symptômes de la maladie et atteints par une forme légère. Elles se manifestent également plutôt tardivement dans l’évolution de la maladie, après d’autres symptômes.
«Les lésions de type livedo semblent toucher des patients plus âgés et atteints d’une forme plus grave, remarque Michel Gilliet. Mais en l’état actuel des connaissances, nous ne savons pas si ces manifestations peuvent servir à évaluer l’évolution de la maladie vers des cas plus ou moins graves.» Difficile donc d’utiliser ces symptômes pour diagnostiquer la maladie.
Prendre contact
Ces lésions cutanées pourraient cependant constituer une preuve de la capacité du virus à se disséminer dans l’organisme au-delà des poumons, et à provoquer une inflammation systémique. «Une étude publiée dans The Lancet il y a deux semaines a mis en évidence la capacité du SARS-CoV-2 à infecter les cellules endothéliales (cellules qui tapissent les vaisseaux sanguins)», rappelle Michel Gilliet.
Ces manifestations cutanées ont donc un intérêt pour les chercheurs, puisqu’il est plus facile de réaliser un prélèvement de tissu au niveau de la peau que sur d’autres organes. «Si nous parvenons à identifier la présence du virus au niveau de ces lésions, cela nous permettra peut-être d’en savoir plus sur sa pathogenèse [processus d’évolution d’une maladie]», conclut Michel Gilliet. Les deux dermatologues invitent les patients positifs au Covid-19 présentant ce genre lésions à prendre contact avec les services de dermatologie du CHUV ou des HUG, car il existe là un vrai enjeu de santé publique. ▅