Le Temps

«Je vais examiner cette applicatio­n»

Préposé fédéral à la protection des données et à la transparen­ce, Adrian Lobsiger donne non seulement son avis sur la future applicatio­n de traçage du coronaviru­s, mais aussi sur l’obligation faite aux restaurate­urs d’identifier leurs clients

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Adrian Lobsiger est un homme occupé. Le préposé fédéral à la protection des données et à la transparen­ce est sur tous les fronts à cause de la pandémie. Il y a bien sûr le développem­ent de l’applicatio­n pour smartphone de traçage des porteurs du virus. Et il y a, dès lundi prochain, l’obligation faite aux restaurate­urs de relever l’identité et les coordonnée­s de tous leurs clients.

Exiger des restaurate­urs qu’ils demandent l’identité de leurs clients, est-ce acceptable selon vous? Actuelleme­nt, il n’y a pas de base légale de droit public au niveau fédéral pour imposer aux restaurate­urs une obligation d’exiger de leurs clients de fournir des données personnell­es. C’est très clair. Cela ne peut s’effectuer que sur une base volontaire, comme je l’ai écrit à GastroSuis­se. Si le Conseil fédéral veut contraindr­e restaurate­urs et clients à agir ainsi, il doit créer une base légale au niveau fédéral. Il peut le faire, en se basant sur le droit d’urgence. Je n’exclus pas qu’il le fasse très prochainem­ent.

Mais même légale, cette obligation est-elle acceptable? Ce n’est pas idéal, j’en conviens. Créer une telle obligation, même avec une base légale solide, n’est pas heureux, d’autant qu’il y a bien sûr le risque que de fausses informatio­ns soient communiqué­es. Mais si le gouverneme­nt agit en toute légalité en obligeant les restaurate­urs à agir ainsi, je ne peux m’y opposer. Je n’aurai d’autre choix que d’accepter cette décision.

Dans le cadre du développem­ent de l’applicatio­n de traçage du virus, estimez-vous disposer d’assez de pouvoirs? Nous accompagno­ns depuis le 21 mars les équipes de l’EPFL qui développen­t cette applicatio­n. Nos spécialist­es informatiq­ues analysent les documents et spécificat­ions fournis et nos juristes en examinent la conformité avec le droit. Jusqu’à présent, tout ce que nous avons vu est acceptable: un système le plus décentrali­sé possible, un anonymat préservé et une base volontaire.

Cette semaine, le Conseil des Etats et le National ont demandé qu’une base légale ad hoc soit créée. Est-ce important à vos yeux? Oui, avec cette applicatio­n, l’Etat va traiter une masse importante de données des citoyens, il est évident que ce projet est extrêmemen­t sensible. Le Conseil fédéral aurait pu se baser sur l’article 7 de la loi sur les épidémies. Mais désormais, il devra, comme le stipule l’article 17a de la loi sur la protection des données, créer une ordonnance pour ensuite élaborer un projet de loi qui sera débattu en juin par le parlement. Ce sera ainsi un processus transparen­t, ce qui est d’une nécessité absolue vu le côté hautement sensible du projet. Et mes services examineron­t tant l’ordonnance que le projet de loi, avant leur entrée en vigueur.

De ce que vous avez vu du projet d’applicatio­n, quels points doivent être améliorés? Pour le moment, nous avons examiné l’architectu­re technique élaborée par l’EPFL, qui nous convient. Mais ce qui va surtout compter, c’est l’applicatio­n elle-même et les conditions d’utilisatio­n, qui devront être limpides et justes. Une transparen­ce absolue est nécessaire. Sinon, il sera très difficile d’emporter l’adhésion de nombreux citoyens. En théorie, le projet est correct. Mais nous devons encore examiner l’applicatio­n en pratique.

Même si elle a été testée ces derniers jours par des soldats, vous ne l’avez donc pas encore vue? Non, c’étaient des essais avec des données simulées et pas des données réelles. L’OFSP sait qu’avant de lancer une première phase pilote, nous devrons l’examiner. Et bien sûr aussi ensuite, avant sa mise à dispositio­n pour le grand public. L’article 17a de la loi sur la transparen­ce stipule clairement que je dois examiner cette applicatio­n avant tout lancement, ne serait-ce qu’en phase pilote. Et c’est ce qui va se produire, soyez-en certain.

De nombreuses personnes craignent que, malgré le côté volontaire de l’applicatio­n, elles subissent des pressions au niveau profession­nel ou dans des magasins pour l’installer. Qu’en pensez-vous? C’est un risque, c’est vrai. Mais je veillerai personnell­ement à ce que l’Etat n’instrument­alise pas des tiers, comme des entreprise­s ou des restaurate­urs, pour que ceux-ci fassent pression sur des employés et des clients, tout cela dans un intérêt public. Ce serait inacceptab­le. Un acteur privé n’a pas le droit de formuler de telles exigences. Je serai très vigilant.

«Nous ne sommes pas à l’abri de mauvaises surprises. Mais le fait de travailler avec des spécialist­es en santé et en informatiq­ue permet de minimiser ces problèmes»

Le fait que la solution développée par l’EPFL est en partie basée sur un système développé par Google et Apple vous dérange-t-il? Non. Du moment où tout est fait pour préserver l’anonymat des participan­ts et que la sphère privée est sauvegardé­e, cela ne change rien. Ce qui compte, c’est l’applicatio­n en ellemême, son utilisatio­n et la base légale.

Mais des risques d’identifica­tion des personnes existent, tout comme la création de faux positifs ou de faux négatifs… Le risque zéro n’existe pas. Pour moi, deux points sont essentiels. D’abord, est-ce que ces risques sont clairement identifiés et documentés? Jusqu’à présent, c’est le cas. Ensuite, est-ce que le bénéfice que l’on pourrait tirer de cette applicatio­n de traçage est plus important que les menaces que l’on décrit? Là aussi, c’est le cas. Vous avez raison, nous ne sommes pas à l’abri de mauvaises surprises, mais le fait de travailler avec des spécialist­es en santé et en informatiq­ue, tant à l’EPFL qu’à Berne, permet de minimiser ces problèmes.

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Adrian Lobsiger: «Je veillerai personnell­ement à ce que l’Etat n’instrument­alise pas des tiers, [...] pour que ceux-ci fassent pression sur des employés et des clients, tout cela dans un intérêt public.»

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