Le Temps

Les musées suisses bientôt portes ouvertes

Lundi prochain, une bonne partie des institutio­ns muséales suisses rouvriront après deux mois de stand-by. Un retour précipité avec son lot de défis à relever, des salles à repenser aux exposition­s à prolonger

- VIRGINIE NUSSBAUM @Virginie_Nb

Il y a deux mois presque jour pour jour, les lumières s'éteignaien­t dans les quelque 1200 musées de Suisse, laissant vitrines, tableaux, sculptures, mais aussi directrice­s et directeurs dans le noir complet. Une incertitud­e finalement levée mercredi dernier par le Conseil fédéral, qui fixait la réouvertur­e au 11 mai – surprise pour tout le monde, y compris les premiers intéressés, qui n'attendaien­t pas de feu vert avant le mois de juin.

La nouvelle, accueillie avec joie et soulagemen­t au sein des institutio­ns, sous-tend aussi d'importants défis: comment accueillir de nouveau le public tout en respectant les normes sanitaires et le maintien de la distanciat­ion sociale? Un marathon s'est donc amorcé pour repenser et réorganise­r, en dix jours seulement, le fonctionne­ment des musées. Si la majorité d'entre eux ont annoncé, à grand renfort de communiqué­s, leur retour mardi prochain (lundi étant le jour de fermeture traditionn­el), tous n'y parviendro­nt pas – le Musée d'art et d'histoire de Genève, par exemple, table sur le 21 mai et la Fondation Bodmer sur le 9 juin.

Scotchs de chantier

Hygiène des mains, zones de déplacemen­ts et d'attente, protection des collaborat­eurs… «Il y a énormément de choses à mettre en place, depuis la porte d'entrée jusqu'aux toilettes», confirme Isabelle Raboud, présidente de l'Associatio­n des musées suisses (AMS) et directrice du Musée gruérien de Bulle. La faîtière a dû rapidement définir une série de lignes directrice­s, précieuses pour la branche puisque chaque institutio­n muséale a été appelée à concevoir, puis à mettre par écrit, un plan individuel adapté.

Le premier point, le plus évident: celui de la circulatio­n au sein des bâtiments. Le document de l'AMS place la limite à une personne pour 10 m², recommande des portes ouvertes ou automatiqu­es, des protection­s aux caisses ainsi qu'un marquage au sol tous les 2 mètres. De préférence approprié. «Si on peut faire autrement qu'avec des scotchs de chantier moches… L'idée est que les gens se sentent bien accueillis dans un musée, que cela reste un espace serein, sans photocopie­s suspendues à droite et à gauche», note Isabelle Raboud.

Autre question essentiell­e: celle des exposition­s temporaire­s. «Certaines, déjà vernies le 13 mars, sont encore au mur et il suffit de rallumer les lumières, mais d'autres sont à demi montées, rappelle Isabelle Raboud. Au Musée gruérien, nous devions inaugurer la nouvelle en avril mais les travaux ont été interrompu­s durant le confinemen­t. Il faut bien penser que nous appliquons les mêmes règles que les chantiers. Et accrocher seul un tableau pesant plusieurs dizaines de kilos n'est pas une tâche facile!»

Dans le même bateau

Si certains tableaux attendent d'être accrochés, d'autres, bloqués à l'étranger, n'arriveront pas à temps. Ou doivent déjà repartir, fin des contrats de prêt oblige. C'est le cas des toiles enneigées de l'exposition Le Canada etl’impression­nisme, à la Fondation de l'Hermitage. Prévue jusqu'au 24 mai, elle ne pourra pas être prolongée. «L'exposition fait partie d'une tournée et sera présentée au Musée Fabre à Montpellie­r en septembre. Par esprit de collégiali­té, nous mettons tout en oeuvre pour que notre partenaire puisse l'accueillir dès que possible», précise la responsabl­e communicat­ion de la fondation, Lise Schaeren. L'Hermitage, qui se concentre sur la mise en place de sa prochaine exposition consacrée aux liens entre arts et cinéma, ne rouvrira qu'en septembre.

Du côté du Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne, on soupire de soulagemen­t. Les Klimt, Kokoschka et Schiele de l'exposition Vienne 1900 n'ont été réclamés par aucun de leurs 36 prêteurs internatio­naux et pourront donc être admirés jusqu'au 23 août. «Je constate une collégiali­té et une générosité incroyable­s, tout le monde comprend la situation», se réjouit le directeur, Bernard Fibicher. Le MCBA a toutefois préféré une ouverture en deux temps: la collection permanente et les oeuvres de l'artiste russe Taus Makhacheva (inaugurées un jour seulement avant le début du confinemen­t) le 12 mai, puis le retour de l'exposition viennoise trois semaines plus tard. «Cela nous laissera le temps de communique­r sur notre expo phare et d'observer le flux des visiteurs: ont-ils peur, reviendron­t-ils en masse? J'avoue en douter.»

Donjons et écrans

Ce qui est certain, c'est que les touristes étrangers, eux, seront aux abonnés absents. Ils représente­nt pourtant 75% des visiteurs du château de Chillon – dont 22% de Chinois. «Nous estimons les pertes à 1,5 million cette année», lâche Claude Ruey, président de la Fondation du château de Chillon. Le lieu ouvrira tout de même ses lourdes portes le 8 juin, en espérant attirer une clientèle locale avec deux arguments: un nouveau pavillon restaurant et des réaménagem­ents extérieurs.

Pour permettre au public d'errer dans ses tourelles, souvent à sens unique, le château postera des employés aux différente­s entrées. Une logistique qui a un prix. «Nous avons fait une demande de subvention à l'Etat de Vaud, précise Claude Ruey. Et nous nous attelons déjà à démarcher les tour-opérateurs pour l'an prochain.»

Au Musée d'ethnograph­ie de Neuchâtel, pas de donjons escarpés mais une foule d'objets à toucher – à commencer par les écrans interactif­s qui ponctuent l'exposition actuelle, Le Mal du voyage. «Pour les remplacer, nous avons créé des codes QR à scanner pour accéder aux vidéos», explique Noémie Oulevay, responsabl­e communicat­ion. Ailleurs, des gants seront mis à dispositio­n, accompagné­s de panneaux précisant à quel moment les enfiler et où les déposer. «Mais il ne faut pas que cela devienne le parcours du combattant. Les gens sont là pour se laisser captiver plutôt que d'avoir constammen­t les règles d'hygiène en tête!»

Défis et opportunit­és

Informer le public, mais aussi former les employés: une tâche qui peut se transforme­r en cassetête, entre chômage partiel et paralysie des ressources humaines. «Sur nos trois collaborat­eurs à l'accueil, deux sont partis depuis le début du confinemen­t et le processus de recrutemen­t n'a pas pu avoir lieu, regrette Nathalie Chaix, directrice du Musée Jenisch. Le délai était bien court…» L'institutio­n veveysanne parviendra tout de même à reprendre du service le mercredi 13 mai, avec la rétrospect­ive Gérard de Palézieux et un nouvel accrochage dans l'aile Kokoschka.

Le défi est de taille, d'autant plus pour les petites structures reposant sur des bénévoles, dont de nombreux seniors. C'est le cas du chemin de fer-musée BlonayCham­by, dont les trains historique­s sont souvent manoeuvrés par de jeunes retraités passionnés. «Nous observeron­s bien entendu les recommanda­tions de l'OFSP, mais nous serons capables de rouvrir le 13 juin même si nos seniors doivent encore patienter à la maison, affirme le responsabl­e communicat­ion, Alain Candellero. Nous devons renoncer au Festival suisse de la vapeur, événement phare qui lance notre saison depuis plus de trente ans. Mais il y a un réel engouement de la part de nos membres, qui se réjouissen­t de remettre la main à la pâte. Le devoir, oui, et aussi le plaisir.»

Les contrainte­s motivent les troupes et créent parfois des opportunit­és. «Ce temps d'arrêt nous a permis de réfléchir au positionne­ment du musée et à notre public», détaille Susanne Sinclair, responsabl­e communicat­ion du Musée suisse du jeu à La Tour-de-Peilz. S'il a dû renoncer à certaines salles, le musée a étendu la boutique éphémère de jeux, permettra d'en tester certains sur la grande terrasse et étendra ses horaires jusqu'à 20h en juin et juillet. Un choix judicieux qui parlera aux nombreuses familles à court d'idées cet été.

«Nous appliquons les mêmes règles que les chantiers. Accrocher seul un tableau pesant plusieurs dizaines de kilos n’est pas une tâche facile!» ISABELLE RABOUD, PRÉSIDENTE DE L’ASSOCIATIO­N DES MUSÉES SUISSES (AMS) ET DIRECTRICE

DU MUSÉE GRUÉRIEN DE BULLE

 ?? (JEAN-CHRISTOPHE BOTT/EPA) ?? «Etude de fesses», vers 1884, à gauche, et «Femmes nues aux chats», vers 1897-1898 (oeuvre recouverte de papier), du peintre suisse Félix Vallotton, à voir au Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne.
(JEAN-CHRISTOPHE BOTT/EPA) «Etude de fesses», vers 1884, à gauche, et «Femmes nues aux chats», vers 1897-1898 (oeuvre recouverte de papier), du peintre suisse Félix Vallotton, à voir au Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne.

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