Découplage, quel découplage?
GLOBALISATION Selon Mark Greeven, professeur à l’IMD, l’intégration de la Chine dans l’économie mondiale est si profonde qu’un retour en arrière serait catastrophique pour toute la planète. Selon lui, c’est le seul pays qui, malgré les défis auxquels il doit faire face, offre des perspectives de croissance
L’an dernier, Renault, en coentreprise avec le chinois Dongfeng Motors, n’a vendu que 18548 voitures en Chine, soit 63% de moins qu’en 2018. Le 15 avril, las, le constructeur français a annoncé qu’il pliait bagage.
Quel est le prochain départ? La question revient non seulement à cause du fort ralentissement de l’économie chinoise lié au Covid-19, mais aussi dans un contexte où l’on s’interroge sur la pertinence de la chaîne d’approvisionnement mondiale, où la Chine joue un rôle dominant, qui a montré sa fragilité durant la pandémie. Le nationalisme économique, plus particulièrement aux EtatsUnis, dont le président incite les entreprises américaines à renter au pays, pousse vers le découplage.
Retour au Moyen Age
Quelques faits de ces toutes dernières semaines apportent quelques éléments de réponse. Credit Suisse a obtenu l’autorisation de devenir propriétaire unique de sa banque d’investissement en Chine. Idem pour HSBC pour sa division «assurance». En effet, une réforme entrée en vigueur en début d’année dans le domaine financier ne contraint plus les entreprises étrangères à avoir un partenaire local.
Dans un autre registre, la compagnie nationale aérienne Finnair s’est associée avec la chinoise Juneyao Air pour assurer la liaison HelsinkiShanghai et pour desservir de nouvelles lignes. Dernier exemple: le géant chinois des télécoms Huawei a reconduit son partenariat avec le constructeur franco-italien STMicroelectronics pour concevoir et fabriquer des puces.
Découplage, quel découplage? Selon Mark Greeven, professeur d’innovation et de stratégie à l’IMD, école de management à Lausanne, l’intégration de la Chine dans l’économie mondiale est telle qu’en cas de découplage, la planète retournerait au Moyen Age. «Le géant asiatique est quasiment le seul à offrir des perspectives de croissance dans divers domaines dont l’automobile et l’assurance», affirme-t-il.
Ayant vécu en Chine entre 2005 et 2018, Mark Greeven est bien placé pour commenter l’évolution de l’économie chinoise ces dernières années. «En 1970, la part du secteur privé dans le PIB chinois était de 0%. A présent, il est de 70%. C’est un écosystème vivant qui continuera de croître.» Le professeur d’origine néerlandaise rappelle qu’à ce stade, seulement 300 millions de Chinois, dans les zones côtières, connaissent la prospérité. «Toutes les régions rurales vont se rattraper graduellement, de quoi attiser l’appétit des investisseurs chinois et étrangers», renchérit-il.
De nombreux défis
«Tout n’est tout de même pas rose, poursuit Mark Greeven. Le modèle de développement chinois pose de grands défis environnementaux. Des villes comme Pékin et Shanghai sont invivables.» Ce n’est pas tout. Les inégalités augmentent tout comme la grogne au sein de la population. Enfin, le spécialiste fait ressortir que le système financier n’est pas solvable. Par ailleurs, la Chine pèche aussi par le retard à mener des réformes en matière d’ouverture aux investissements, de respect de la propriété intellectuelle et de transfert des technologies forcé aux entreprises chinoises.
Pour le professeur de l’IMD, les dirigeants chinois sont conscients des défis à l’intérieur du pays et font tout pour assurer «le bol de riz» à toute la population. En ce qui concerne les défis extérieurs, il affirme que la rhétorique du nationalisme économique anti-chinois va se multiplier d’ici aux prochaines élections américaines. «Mais la Chine n’a elle-même aucun intérêt à un pourrissement des relations internationales, dit-il. La paix politique et économique interviendra lorsque les trois grandes puissances – Etats-Unis, Union européenne, Chine – admettront qu’elles ont plus à gagner de l’interdépendance que du découplage.»