Le Temps

Le multilatér­alisme «à la carte» de la Chine

- STÉPHANE BUSSARD @StephaneBu­ssard

Pékin a capitalisé sur le système onusien ces dernières années. Mais il n’est pas sûr que le pouvoir chinois souhaite aller aussi loin que les Américains. Il pourrait chercher plutôt à conserver au mieux la souveraine­té nationale du pays

La Chine a commencé à investir dans le multilatér­alisme bien avant le fameux discours du président Xi Jinping à Davos en janvier 2017. Elle a déjà commencé notamment avec la coopératio­n américano-chinoise entre Obama et Xi un an avant le sommet sur le climat de Paris de 2015.

Depuis quelques années, Pékin semble sur tous les fronts, plaçant des Chinois à la tête de quatre agences spécialisé­es de l’ONU. Son activisme a néanmoins commencé à effrayer, avec l’élection de Qu Dongyu à la tête de la FAO à Rome. Pour les Occidentau­x, qui souhaitaie­nt placer l’un des leurs, ce fut un traumatism­e. La volonté de Pékin de conquérir, en vain, la tête de l’OMPI à Genève en mars fut un autre avertissem­ent.

Face aux critiques croissante­s, la Chine va-t-elle poursuivre sur la voie multilatér­ale? Selon Stephanie Hofmann, professeur­e de relations internatio­nales à l’IHEID, la gestion chinoise du Covid-19 a exacerbé les relations avec Washington et poussé les Européens, Latino-Américains et Africains à repenser leurs relations avec Pékin. «La Chine sent cette tension diplomatiq­ue.» Pour l’universita­ire, les critiques envers la Chine se répercuten­t sur tout le système. Le consensus devient difficile aussi bien au G7, au G20 qu’au Conseil de sécurité. «A long terme, il pourrait en résulter un manque de confiance envers la Chine.» Stephanie Hofmann ajoute: «Le gouverneme­nt chinois insiste sur la souveraine­té nationale. Or les gouverneme­nts très attachés à cette souveraine­té comprennen­t souvent le multilatér­alisme comme un moyen de la conserver. Pékin pourrait dès lors vouloir un multilatér­alisme à la carte.»

Essence libérale

Professeur lui aussi de relations internatio­nales à l’IHEID, Cédric Dupont poursuit: il n’est pas sûr que la Chine souhaite aller aussi loin que les EtatsUnis en termes d’investisse­ments dans le multilatér­alisme. Elle risque de peiner à s’identifier à un ordre d’essence libérale. «Et puis, ajoute-t-il, la situation n’est pas comme celle qui a permis aux Etats-Unis de s’affirmer comme première puissance. Après la guerre, ils étaient plus seuls. Là, la Chine s’inscrit dans une réalité géopolitiq­ue beaucoup plus fragmentée avec des puissances comme l’Inde ou le Brésil qui auront leur mot à dire. Un passage en force chinois serait très compliqué.» Et Cédric Dupont de conclure: «Prenez la Banque asiatique d’investisse­ment pour les infrastruc­tures. Elle promeut des investisse­ments dans les infrastruc­tures par les Chinois et pour les Chinois. Ce n’est pas du multilatér­alisme. Il n’est pas sûr qu’à Pékin tout le monde apprécie cette stratégie de Xi Jinping qui expose beaucoup la Chine sur la scène internatio­nale.»

«La gestion chinoise du Covid-19 a exacerbé les relations avec Washington et poussé les Européens, Latino-Américains et Africains à repenser leurs relations avec Pékin»

STEPHANIE HOFMANN, PROFESSEUR­E DE RELATIONS INTERNATIO­NALES À L’IHEID

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland