Le soja, un aliment miracle bon pour la santé? Pas si sûr ●●●
Dans un livre-enquête, la journaliste Julie Lotz révèle les dangers auxquels nous expose une trop grande consommation de soja. Systèmes hormonaux perturbés, fertilité en baisse… Ses conclusions invitent à la réflexion
On le prend souvent pour un aliment miracle, le graal qui offre l’alternative rêvée à tous les produits carnés. Pourtant, même le soja a son côté obscur quand il est consommé en trop grande quantité. Depuis trois ans, la journaliste française Julie Lotz enquête sur cette plante dont la popularité explose. D’abord pour un documentaire télévisé, désormais pour un livre intitulé Planète Soja*, qui met en avant l’importance de son dosage dans l’alimentation, notamment des végétariens.
Que représente aujourd’hui l’industrie du soja dans le monde?
La cinquième culture la plus importante, avec une production qui a plus que triplé en trente ans. En Suisse comme ailleurs, la production augmente modestement, mais elle augmente: 1500 hectares de plantation en 2014, 1750 l’année dernière avec une production de 5350 tonnes. Ce qui ne suffit pas, donc il faut importer. En Europe, la grande majorité du soja consommé par les animaux d’élevage est importée du Brésil.
Le souci est que le soja importé est génétiquement modifié et traité massivement avec des herbicides à base de glyphosate. Mais les éleveurs suisses ont dit qu’ils ne voulaient pas nourrir leurs bêtes avec du soja transgénique, ce qui est une très bonne chose. Quitte à payer plus cher puisque le soja non-OGM coûte environ 25% de plus.
On a tous en tête que le soja est bon pour la santé. Or votre livre apporte certaines
nuances...
Consommée avec modération, cette plante est bonne pour la santé. C’est une excellente source de protéines. Sur le papier, c’est l’aliment idéal pour remplacer la viande. Sauf que le soja n’est pas qu’un ami qui nous veut du bien. D’abord, il est partout. Vous croyez ne pas en manger parce que vous n’achetez pas de steaks ou de jus, mais vous pouvez en retrouver par exemple à hauteur de 30% dans la composition de certaines boulettes de viande parce que le soja coûte moins cher. Dans des brownies. Et dans l’alimentation des animaux qu’ensuite nous mangeons… Donc, on en mange sans le savoir.
Et que se passe-t-il quand, en plus de cette consommation invisible, on choisit d’en manger ou d’en boire en quantité?
Au début de mes recherches, une scientifique qui étudie cette plante depuis plus de trente ans m’a suggéré – pour me prouver que consommer trop de soja peut avoir un effet sur notre corps – de boire un litre de jus de soja en deux heures, une semaine avant le début de mes règles. Ce que j’ai fait. Mes règles sont arrivées au bout de trois jours alors que ce n’était pas le moment, et d’une manière bien plus douloureuse que d’habitude. Le soja, y compris biologique, contient en grande quantité des phytoestrogènes, ou isoflavones, des molécules qui s’apparentent de près aux hormones féminines. De nombreuses études scientifiques s’accordent pour dire
«Selon de nombreuses études scientifiques, le soja peut perturber les cycles menstruels et influer sur la fertilité féminine»
que le soja peut perturber les cycles menstruels et influer sur la fertilité féminine. On sait aussi que le soja est déconseillé aux femmes ayant subi un cancer du sein hormono-dépendant: des risques de récidive existent. Egalement aux femmes enceintes et aux enfants de moins de 3 ans.
Pour les hommes, des études montrent que la consommation de phytoestrogènes peut entraîner une baisse de la concentration spermatique, mais la question n’est pas tranchée. Les experts mettent aussi en garde les personnes qui présentent des troubles de la fonction thyroïdienne, les isoflavones pouvant agir en interaction avec celle-ci.
Pourquoi soja et glyphosate sont, selon vous, indissociables?
On ne peut pas parler du soja sans parler du glyphosate. A travers le monde, l’essentiel de la culture de soja destinée à l’alimentation animale est non seulement génétiquement modifiée, mais aussi traitée au glyphosate. En réalité, à la base, les plants de soja sont modifiés génétiquement pour pouvoir résister aux herbicides à base de glyphosate. C’est le cas au Brésil et en Argentine. Or, dans un pays comme la France par exemple, la majorité du soja importé pour l’agriculture provient du Brésil. C’est donc toute la chaîne alimentaire qui est impactée ensuite, jusque dans le lait donné par les vaches, y compris le lait bio où l’on retrouve des traces de glyphosate.
Faut-il ne plus du tout consommer de soja?
C’est comme pour le reste, il faut songer à adopter une alimentation variée. L’agence sanitaire française recommande 1 milligramme de phytoestrogènes par kilo de poids corporel et par jour. Ce qui donne, pour une femme de 60 kilos, environ l’équivalent d’un steak et d’un verre de jus de soja par jour; pour un homme de 80 kilos, un steak et un grand bol de jus. Pour un enfant de 35 kilos, pas plus d’un demi-steak par jour.
On accuse aussi la culture du soja d’être responsable de la déforestation, notamment en Amérique du Sud. Qu’en est-il des géants de l’agroalimentaire?
En Amérique du Sud, la culture du soja et les traitements qui vont avec font courir des risques graves pour la santé des populations proches des champs. Elle participe aussi, massivement, à la déforestation. Plusieurs organisations de défense de l’environnement accusent de nombreuses entreprises européennes, dont Nestlé, d’être en partie responsables, car elles commandent du soja à Cargill et aux multinationales spécialisées dans le commerce international de soja.
Comme d’autres, Cargill et Nestlé se sont engagées à lutter contre la déforestation en signant des moratoires. Mais plusieurs rapports montrent que, sur le terrain, la déforestation continue, notamment en raison de lacunes dans ces moratoires. Un rapport récent montre que la surface dédiée au soja a quadruplé en Amazonie entre 2006 et 2018.
Les financements de cette industrie ont aussi fait débat...
Plusieurs associations ont dénoncé le financement indirect de la déforestation par Credit Suisse. Entre 2013 et 2018, Credit Suisse a accordé 567 millions de dollars aux quatre grandes multinationales chargées du négoce international du soja, dont Cargill. Certes la banque s’est défendue en disant qu’elle ne finançait aucune activité commerciale «dans les forêts primaires tropicales, les zones boisées à forte valeur écologique ou dans des biotopes naturels menacés». Mais les rapports des associations affirment que, comme les directives ne s’appliquent qu’aux exploitants agricoles et pas aux négociants comme Cargill, le résultat demeure le même. La déforestation de l’Amazonie et d’autres écosystèmes peut ainsi se poursuivre en toute impunité. ■
*«Planète Soja», de Julie Lotz. Editions du Rocher. Mars 2020, 260 p.