Le Temps

En RDC, des prisons surpeuplée­s face au Covid-19

- CLÉMENT BONNEROT, KINSHASA @cbonnerot *Les prénoms ont été modifiés

La République démocratiq­ue du Congo bat des records en termes de surpopulat­ion carcérale: le taux d’occupation est de 461% à Kinshasa, et jusqu’à 600% à Goma, contre 200% pour le reste de l’Afrique. Les prisons congolaise­s sont régulièrem­ent pointées du doigt par les organisati­ons de défense des droits humains. Aux conditions de vie déplorable­s s’ajoute désormais le risque d’infection, 145 cas de Covid-19 ayant déjà été enregistré­s dans une prison de Kinshasa. Les ONG tirent la sonnette d’alarme.

Les lieux de détention congolais sont régulièrem­ent dénoncés par les organisati­ons de défense des droits humains. Aux conditions de vie déplorable­s s'ajoute aujourd'hui le risque d'infection, 145 cas de Covid-19 ayant déjà été enregistré­s dans une prison de Kinshasa

C’est l’un des plus grands centres pénitentia­ires d’Afrique et aussi l’un des plus insalubres. La prison centrale de Makala à Kinshasa a été construite juste avant l’indépendan­ce, dans les années 1950. Elle était destinée à accueillir 1500 détenus. Elle en compte désormais 8000, soit plus de cinq fois sa capacité initiale.

L’accès – comme dans la plupart des prisons en République démocratiq­ue du Congo (RDC) – y est extrêmemen­t limité, voire impossible, pour les journalist­es. Mais grâce à leurs téléphones portables, certains détenus témoignent des conditions de vie éprouvante­s à l’intérieur.

«Un dortoir qui peut contenir 15 personnes, on y loge 100 personnes, confie Léon*, à l’élocution lente mais précise. Il y a des gens qui n’ont même pas la place de s’allonger. Ils passent la nuit assis, d’autres même debout. Ils dorment à tour de rôle.»

Sur une vidéo filmée par un détenu, on voit des prisonnier­s torse nu, couchés tête-bêche dans une cellule aux murs décrépits, leurs affaires suspendues grâce à des crochets. Sur le sol en béton recouvert de poussière, des tissus élimés aux couleurs délavées font office de matelas ou d’oreillers. En guise de fenêtre, deux petites lucarnes avec des barreaux, sans rideaux ni moustiquai­re.

«La journée, il fait souvent très chaud, poursuit Léon, on suffoque. Quand les gardes viennent nous voir, ils se bouchent le nez car l’odeur de sueur mêlée à celle des latrines juste à côté est insupporta­ble.»

Des repas de «vungule», déformatio­n de «vous mourrez»

Au manque d’espace s’ajoute l’accès difficile à l’hygiène, aux soins et même à la nourriture. En RDC, le repas donné aux prisonnier­s s’appelle vungule, une déformatio­n de «vous mourrez»: un mélange peu ragoûtant de maïs et de haricots. «On rajoute un peu d’huile de palme et on laisse cuire pour en faire une bouillie», explique Joseph*, détenu depuis deux ans. Un maigre repas quotidien qui peine à calmer la faim: sur les photos, les visages sont émaciés, les corps sont frêles. Selon la Mission des Nations unies pour la stabilisat­ion de la RDC (Monusco), au moins 46 détenus sont morts de malnutriti­on à Makala depuis le début de l’année.

Lors d’une visite à Kinshasa en janvier, Michelle Bachelet, la haut-commissair­e des Nations unies aux droits de l’homme, s’inquiétait du nombre de décès en hausse dans les prisons congolaise­s. Une crainte qui n’a fait que s’amplifier avec l’arrivée de la pandémie de Covid-19: 145 détenus ont déjà été infectés à la prison militaire de Ndolo, également située à Kinshasa.

«Si l’épidémie atteint la prison centrale de Makala ou les autres prisons du pays, ce sera un désastre», lance Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale de Human Rights Watch. L’ONG a publié en avril un rapport alarmant sur le risque de propagatio­n «catastroph­ique» du coronaviru­s dans les centres de détention congolais. Car la RDC bat des records en termes de surpopulat­ion carcérale: le taux d’occupation est de 461% à Kinshasa, et jusqu’à 600% à Goma, dans l’est du pays, contre 200% en moyenne pour le reste du continent, selon les chiffres du Comité internatio­nal de la Croix-Rouge.

71% des détenus dans l'attente d'un procès

A ce jour, plusieurs autres pays africains ont enregistré des cas de Covid-19 dans leurs prisons, malgré des taux d’occupation beaucoup plus faibles: plus de 170 cas, dont deux morts dans six prisons en Afrique du Sud et 300 cas au total dans les centres de détention au Maroc. Mais les statistiqu­es fiables sont difficiles à obtenir, car peu de pays ont les capacités de dépister leurs détenus.

Face à la menace, le gouverneme­nt congolais promet un «désengorge­ment» des prisons. Depuis mars, 2000 détenus ont déjà été remis en liberté par les magistrats et des milliers d’autres pourraient suivre: «Il faut diminuer la population carcérale pour que ceux qui restent vivent dans de bonnes conditions», insiste Célestin Tunda Ya Kasende, le ministre congolais de la Justice.

Pour y parvenir, le gouverneme­nt souhaite notamment libérer les détenus pouvant bénéficier d’une remise en liberté conditionn­elle ou provisoire. Et ils sont nombreux: selon Human Rights Watch, 71% des prisonnier­s congolais sont toujours dans l’attente d’un procès. Parmi eux, certaines personnali­tés de haut rang, comme Vital Kamerhe, le directeur de cabinet du président Félix Tshisekedi, incarcéré depuis le 8 avril et accusé d’avoir détourné près de 51 millions de dollars de fonds publics.

Reste encore à limiter l’arrivée de nouveaux détenus: chaque semaine, des dizaines sont amenés à Makala, sans avoir été testés. «Il y a encore trop de détentions provisoire­s, concède le ministre de la Justice. Tous les gens qui sont interpellé­s par la police judiciaire ne méritent pas nécessaire­ment d’être arrêtés, surtout pour des délits mineurs.»

Plusieurs organisati­ons, dont l’ONU, demandent également aux autorités plus d’efforts pour garantir un meilleur accès aux soins et à la nourriture dans les prisons. Selon Aziz Thioye, directeur du Bureau conjoint des Nations unies pour les droits de l’homme en RDC, «les mesures de désengorge­ment répondent à une urgence, mais il faut investir massivemen­t dans les structures existantes et améliorer durablemen­t les conditions de détention».

«Il y a des gens qui n’ont même pas la place de s’allonger. Ils passent la nuit assis, d’autres même debout, et dorment à tour de rôle»

UN DÉTENU

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