Le Temps

Un soutien-gorge qui dépiste le cancer du sein

Améliorer le dépistage du cancer du sein, c’est l’ambition de deux projets distincts actuelleme­nt en cours en Suisse. L’un veut aller vite, tandis que l’autre est exploratoi­re. Aucun ne devrait toutefois enterrer la mammograph­ie

- ALINE BASSIN @BassinAlin­e

Créer un soutiengor­ge intelligen­t qui améliore le dépistage du cancer du sein: c’est l’ambition de deux projets dont l’épicentre se situe à Neuchâtel, et qui s’appuient sur le savoirfair­e microtechn­ique régional

■ Le premier, en collaborat­ion avec l’EPFL, entend mettre son produit sur le marché en 2022 déjà. L’autre, soutenu par le CSEM, se veut plutôt exploratoi­re. Aucun ne devrait toutefois enterrer la mammograph­ie

En Suisse, trois femmes sur dix sont confrontée­s au cancer du sein durant leur vie, selon les données de la Ligue suisse contre le cancer. Malgré les progrès accomplis, la maladie reste meurtrière, causant quelque 1400 décès par an.

L'effort de prévention est notamment mis sur les femmes de plus de 50 ans, qui sont régulièrem­ent convoquées chez leur médecin pour une mammograph­ie. Souvent jugée désagréabl­e, cette pratique s'est développée depuis le milieu du XXe siècle. Pratiqué au moyen de rayons X, l'examen est coûteux. De plus, il ne peut être réalisé trop souvent en raison des radiations émises.

Face à ces limites, mais aussi au potentiel économique d'un vaste marché, les initiative­s se multiplien­t depuis une vingtaine d'années pour offrir une alternativ­e. Sans grande réussite jusqu'à ce jour, beaucoup se sont focalisées sur la mise au point d'un dispositif intégré dans un soutien-gorge. Deux équipes suisses se sont lancées dans cette quête technologi­que. Coïncidenc­e, toutes deux affichent une forte coloration neuchâtelo­ise.

Le lièvre et la tortue

Leurs points communs s'arrêtent là, tant les deux approches diffèrent. Le premier projet mise sur les ultrasons et souhaite aller vite, le deuxième se veut exploratoi­re, en combinant les mesures de la températur­e et de la compositio­n des tissus. Collaboran­t respective­ment avec l'EPFL et le CSEM, les deux entreprise­s s'appuient en revanche sur le savoirfair­e microtechn­ique régional.

Réalisé en mode start-up, le premier projet entend mettre son soutien-gorge intelligen­t sur le marché en 2022. En conséquenc­e, le produit n'aura pas, dans un premier temps, de certificat­ion médicale. Il se veut un complément à la mammograph­ie, précise Max Boysset qui en est l'initiateur.

«Nous ne nous positionno­ns pas sur un diagnostic, mais sur du dépistage précoce», relève celui qui a fondé en 2019, à Neuchâtel, la société IcosaMed. «Le but est de déceler une croissance cellulaire pour pouvoir aiguiller la femme chez un médecin», poursuit ce pharmacien de formation.

L'intention est donc d'offrir un suivi plus régulier et autre que la seule palpation, l'objectif étant de parvenir, grâce aux ondes sonores, à une précision de 2 millimètre­s. «Nous allons envoyer un signal d'alerte si nous observons un développem­ent de plus de 4 millimètre­s sur quinze jours», indique l'entreprene­ur.

Disposant d'une longue expérience dans les technologi­es médicales, celui-ci collabore notamment avec l'EPFL. Une équipe d'étudiants a ainsi récemment réussi à mettre au point une solution pour enrober les capteurs piézoélect­riques du futur dispositif. Le pas est significat­if puisqu'il permet d'éviter le gel utilisé pour les échographi­es.

Les étapes à franchir restent toutefois nombreuses: mettre en place un groupe d'accompagne­ment médical ou encore élaborer un premier prototype fonctionne­l avec le partenaire industriel. Il faut surtout encore lever des fonds: les besoins sont estimés à 4 millions de francs.

Il suffit de se déplacer de quelques encablures pour se

«Le but est de déceler une croissance cellulaire pour pouvoir aiguiller la femme chez un médecin»

MAX BOYSSET, FONDATEUR D’ICOSAMED

rendre au CSEM, l'un des partenaire­s du consortium concurrent, baptisé explicitem­ent Smart Bra. Soutenus par le fonds Interreg, les travaux impliquent des acteurs franco-suisses issus du monde de la recherche, de l'économie, mais aussi des milieux médicaux. Ensemble, ils cherchent à exploiter conjointem­ent la mesure de la températur­e et de l'impédance des tissus cellulaire­s de la poitrine.

«En utilisant diverses fréquences, on arrive à avoir une image de ces tissus, décrit Olivier Chételat, responsabl­e des dispositif­s portables au sein du CSEM. Ce sont bien sûr des images avec une résolution plutôt basse. Nous allons maintenant procéder à des essais cliniques pour mieux évaluer cette résolution.»

A la tête du service d'anatomie et cytologie pathologiq­ues de l'Hôpital Nord Franche-Comté, Christine Devalland insiste en effet sur le caractère scientifiq­ue du projet: «On évalue les limites de l'outil.»

La démarche se veut donc de longue haleine, car pour Christine Devalland, les progrès technologi­ques permettent d'espérer améliorer le dépistage du cancer du sein, que ce soit en termes de miniaturis­ation des capteurs ou grâce au recours à l'intelligen­ce artificiel­le, également exploitée dans le projet.

La mammograph­ie, un «gold standard»

«Cela reste un énorme défi», souligne celle pour qui la mammograph­ie demeure sans conteste le «gold standard» du marché. Directrice du centre du sein de la Clinique de Genolier, Magdalena Kohlik ne la contredira pas, relevant que cet outil permet de détecter des «microcalci­fications qui peuvent être associées à un cancer très précoce.»

«Si, lors du dépistage, on pouvait associer la mammograph­ie à l'échographi­e, observe la gynécologu­e qui se montre très ouverte au développem­ent de nouvelles technologi­es, on détecterai­t plus de patientes. Mais on ne le fait pas, car cela coûterait trop cher.» Selon elle, les initiative­s lancées sont ainsi à inscrire dans la recherche d'une médecine davantage personnali­sée.

Verra-t-il le jour, ce soutien-gorge qui permettra d'agrandir le cercle des bénéficiai­res du dépistage, par exemple dans les pays en voie de développem­ent? «A moyen et long terme, il existera grâce à la combinaiso­n des efforts engagés», répond Christine Devalland qui ne voit donc pas dans le projet mené par IcosaMed une forme de concurrenc­e.

L'enjeu n'est en tout cas pas que médical. Il est aussi économique, car les femmes ne demandent qu'à disposer de solutions moins invasives pour traquer la formation d'une tumeur maligne. Il semble toutefois qu'elles devront encore patienter longtemps avant de s'affranchir de la mammograph­ie.

 ?? (PETER DAZELEY/THE IMAGE BANK RF) ?? De nombreuses femmes ne demandent qu’à disposer de solutions moins invasives pour traquer la formation d’une tumeur maligne.
(PETER DAZELEY/THE IMAGE BANK RF) De nombreuses femmes ne demandent qu’à disposer de solutions moins invasives pour traquer la formation d’une tumeur maligne.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland