Le Temps

Colères allemandes contre la «Corona-Diktatur»

- DELPHINE NERBOLLIER, BERLIN

Avec la multiplica­tion des manifestat­ions contre les mesures de confinemen­t, les responsabl­es politiques craignent un retourneme­nt de l’opinion comme lors de la crise migratoire de 2015

Cela faisait un mois et demi que l’Allemagne n’avait pas assisté à de telles manifestat­ions. Cinq mille personnes à Stuttgart, 3000 à Munich, 1200 à Berlin ont protesté le week-end dernier contre les mesures de restrictio­n appliquées depuis le 16 mars afin d’endiguer l’épidémie de Covid-19. Dans la foule se trouvaient des familles demandant la réouvertur­e immédiate des maternelle­s et des écoles, des citoyens exigeant un retour complet des libertés fondamenta­les, des opposants à la vaccinatio­n et des personnes ouvertemen­t anti-Merkel, antisémite­s et/ou complotist­es, accusant entre autres le milliardai­re Bill Gates d’être à l’origine de la pandémie. Y ont aussi été repérés des membres de la scène d’extrême gauche et plusieurs figures du parti d’extrême droite Alternativ­e pour l’Allemagne (AfD).

Les appels à manifester ont été lancés par plusieurs mouvements nés durant le confinemen­t. A Berlin, «Résistance démocratiq­ue» appelle depuis trois semaines à manifester chaque samedi «contre un régime dictatoria­l hygiéniste». A Stuttgart, le mouvement «Querdenker 711» se présente comme le garant de la Constituti­on allemande, tandis que Widerstand­2020 (Résistance 2020) dit présenter un «regard objectif sur le coronaviru­s». Pas de concurrenc­e a priori, même si Widerstand­2020 ne cache pas ses ambitions. Se présentant comme un parti, il dit compter 100000 soutiens – «soit plus que l’AfD» – et vouloir participer aux élections législativ­es de 2021. Certains de ses membres prônent la dissolutio­n du Bundestag et la mise en place d’un parlement composé de personnes n’ayant jamais fait de politique. Samedi à Stuttgart, l’un de ses cofondateu­rs, Bodo Schiffmann, s’est fait acclamer par la foule. Sur sa chaîne YouTube, ce médecin remet en question la dangerosit­é du Covid-19. «En dehors de l’Italie, on ne constate pas de hausse de la mortalité liée au coronaviru­s», affirme-t-il.

«Attention médiatique inespérée»

«Ces manifestat­ions réunissent un public très varié», confirme Dierk Borstel, spécialist­e de l’extrême droite à l’Ecole technique de Dortmund. «On y trouve des citoyens qui se sentent dépassés et qui recherchen­t une orientatio­n. Le deuxième groupe est composé de personnes qui prennent plaisir au chaos et à la confusion, comme les trolls sur internet. Le troisième groupe est constitué de personnes proches de l’extrême droite et de l’extrême gauche qui se servent de l’actuel état d’exception pour développer leurs théories du complot et leurs idées antisémite­s. Enfin, on rencontre des opposants à la vaccinatio­n et des adeptes de l’ésotérisme. Tous se retrouvent au même endroit, dans une situation exceptionn­elle, mais leurs divergence­s d’opinion sont plus nombreuses que leurs points communs», analyse le politologu­e.

La multiplica­tion très récente de ces manifestat­ions à travers le pays s’explique par la levée de l’interdicti­on de manifester, ordonnée par la Cour constituti­onnelle. Paradoxale­ment, cette mobilisati­on intervient alors que les mesures de restrictio­n des libertés s’assoupliss­ent à un rythme accéléré. «Ces manifestan­ts bénéficien­t d’une attention médiatique qu’ils n’espéraient pas», constate Dierk Borstel. «Cela rappelle un peu 2015, lorsque les manifestat­ions anti-migrants ont commencé à obtenir un soutien de la part de la société», note le politologu­e.

L’Allemagne pourrait-elle vivre un basculemen­t similaire de son opinion publique au profit des populistes? Certains hommes politiques le redoutent. Car si une large majorité des Allemands continuent de soutenir la politique actuelle, la demande d’un retour à la normale s’accroît, elle aussi.

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