«Le pouvoir politique doit reprendre la main»
Pour Nicolas Hulot, profiter du déconfinement pour oublier nos responsabilités dans la propagation de l’épidémie de Covid-19 serait un redoutable aveuglement
Et si le déconfinement entamé le mardi 11 mai en France signifiait le retour à grande vitesse du «monde d’avant»? Pour l’ancien ministre français de la Transition écologique Nicolas Hulot, cette option serait aussi décourageante qu’insensée.
Avec le déconfinement entamé le 11 mai, les Français recommencent à envisager une vie normale. Ne craignez-vous pas que vos appels pour un changement radical de modèle économique tombent dans le vide? Je n’ignore pas que la tentation de repartir à l’identique est peut-être plus forte que la volonté de bâtir pierre par pierre le monde de demain. Mais n’oublions pas les faits. Je passe mon temps, dans ma fondation, avec une communauté scientifique. Je lis beaucoup sur la relation de cause à effet entre la destruction des écosystèmes et le développement de pathologies. C’est très documenté. L’hypothèse la plus probable est que ce virus, qui était hébergé depuis la nuit des temps dans un certain écosystème, a changé soudain d’hôte en se transformant du coup en élément pathogène, et s’est ensuite propagé par nos moyens de communication mondialisés. Les changements climatiques et la destruction des écosystèmes nourrissent l’apparition de virus dont nous nous estimions à tort protégés. La technologie nous a aveuglés. Quand on touche aux équilibres climatiques et aux écosystèmes, l’espèce humaine n’est pas la plus résistante. Voulons-nous continuer de l’ignorer?
Cette crise planétaire du Covid-19 est donc bien une opportunité pour nous réinventer? Lorsque je l’affirme, on me traite de naïf. Mais j’ai choisi le camp de l’espoir. Les esprits ont été touchés, y compris les plus conservateurs. Ils ont pris conscience que le monde dans lequel nous vivons, ultralibéral, n’est pas tenable et qu’il faut construire un modèle plus résilient, plus durable, qui s’émancipe de certaines pratiques économiques et industrielles. Depuis quelques décennies, on est dans un monde précipité. Nous avançons sans contrôler la direction dans laquelle nous allons. Nous sommes happés par un fleuve en crue. On ne définit plus les fins et les moyens. C’est dangereux.
Le «monde d’avant» semble pourtant pressé de reprendre ses droits… Ça veut dire quoi, revenir au monde d’avant? Le monde d’avant, ce n’est pas un monde que tout le monde appréciait. C’était un monde d’inégalités, d’incertitudes, avec des crises sanitaires, écologiques, climatiques. N’attendons pas dix ans pour dessiner un horizon commun. Si à un moment les citoyens et les Etats ne redonnent pas du sens au progrès, si l’on ne fait pas converger tous nos moyens vers des objectifs vitaux, on repartira en crise. C’est ça, la naïveté!
Vous défendez un changement «radical». Faut-il renoncer au commerce, au libreéchange? L’idée n’est pas de fermer nos frontières. Il faut utiliser le commerce comme un levier social et écologique. Il faut commercer avec ceux qui ont des critères écologiques et sociaux équivalents aux nôtres. On ne peut pas emmener les citoyens dans la mutation si c’est inéquitable. La Chine ne pourra pas éternellement produire pour les Européens. Il y a des chaînes de valeur qu’il va falloir relocaliser. Comment y parvenir? Le pouvoir politique doit reprendre la main sur le pouvoir financier. Sauver les entreprises pour sauver des millions d’emplois est indispensable. Mais, dans un second temps, il faudra qu’il y ait des contreparties. Exemple en France? L’Etat devra jouer le rôle de régulateur et demander à Renault ou à Air France de changer de logiciel. Les secteurs automobile et aéronautique doivent participer à la transformation. Que veut-on? Une relance avec des moteurs thermiques rutilants ou favoriser des véhicules beaucoup plus sobres? Dans le secteur aérien, là où il y a une concurrence tangible avec le rail, il faudra progressivement fermer des lignes aériennes. Quand on a le choix, il faut choisir de ne pas prendre l’avion. S’en priver définitivement? C’est autre chose. On peut peut-être réserver cela à de beaux voyages. L’Europe doit investir sur les cargos à voile. Cela peut paraître utopique, mais il n’est plus acceptable de faire le tour du monde en 24 heures pour acheminer des produits dans notre assiette.
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