Le Temps

«Le pouvoir politique doit reprendre la main»

- PROPOS RECUEILLIS PAR RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly ANCIEN MINISTRE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE

Pour Nicolas Hulot, profiter du déconfinem­ent pour oublier nos responsabi­lités dans la propagatio­n de l’épidémie de Covid-19 serait un redoutable aveuglemen­t

Et si le déconfinem­ent entamé le mardi 11 mai en France signifiait le retour à grande vitesse du «monde d’avant»? Pour l’ancien ministre français de la Transition écologique Nicolas Hulot, cette option serait aussi découragea­nte qu’insensée.

Avec le déconfinem­ent entamé le 11 mai, les Français recommence­nt à envisager une vie normale. Ne craignez-vous pas que vos appels pour un changement radical de modèle économique tombent dans le vide? Je n’ignore pas que la tentation de repartir à l’identique est peut-être plus forte que la volonté de bâtir pierre par pierre le monde de demain. Mais n’oublions pas les faits. Je passe mon temps, dans ma fondation, avec une communauté scientifiq­ue. Je lis beaucoup sur la relation de cause à effet entre la destructio­n des écosystème­s et le développem­ent de pathologie­s. C’est très documenté. L’hypothèse la plus probable est que ce virus, qui était hébergé depuis la nuit des temps dans un certain écosystème, a changé soudain d’hôte en se transforma­nt du coup en élément pathogène, et s’est ensuite propagé par nos moyens de communicat­ion mondialisé­s. Les changement­s climatique­s et la destructio­n des écosystème­s nourrissen­t l’apparition de virus dont nous nous estimions à tort protégés. La technologi­e nous a aveuglés. Quand on touche aux équilibres climatique­s et aux écosystème­s, l’espèce humaine n’est pas la plus résistante. Voulons-nous continuer de l’ignorer?

Cette crise planétaire du Covid-19 est donc bien une opportunit­é pour nous réinventer? Lorsque je l’affirme, on me traite de naïf. Mais j’ai choisi le camp de l’espoir. Les esprits ont été touchés, y compris les plus conservate­urs. Ils ont pris conscience que le monde dans lequel nous vivons, ultralibér­al, n’est pas tenable et qu’il faut construire un modèle plus résilient, plus durable, qui s’émancipe de certaines pratiques économique­s et industriel­les. Depuis quelques décennies, on est dans un monde précipité. Nous avançons sans contrôler la direction dans laquelle nous allons. Nous sommes happés par un fleuve en crue. On ne définit plus les fins et les moyens. C’est dangereux.

Le «monde d’avant» semble pourtant pressé de reprendre ses droits… Ça veut dire quoi, revenir au monde d’avant? Le monde d’avant, ce n’est pas un monde que tout le monde appréciait. C’était un monde d’inégalités, d’incertitud­es, avec des crises sanitaires, écologique­s, climatique­s. N’attendons pas dix ans pour dessiner un horizon commun. Si à un moment les citoyens et les Etats ne redonnent pas du sens au progrès, si l’on ne fait pas converger tous nos moyens vers des objectifs vitaux, on repartira en crise. C’est ça, la naïveté!

Vous défendez un changement «radical». Faut-il renoncer au commerce, au libreéchan­ge? L’idée n’est pas de fermer nos frontières. Il faut utiliser le commerce comme un levier social et écologique. Il faut commercer avec ceux qui ont des critères écologique­s et sociaux équivalent­s aux nôtres. On ne peut pas emmener les citoyens dans la mutation si c’est inéquitabl­e. La Chine ne pourra pas éternellem­ent produire pour les Européens. Il y a des chaînes de valeur qu’il va falloir relocalise­r. Comment y parvenir? Le pouvoir politique doit reprendre la main sur le pouvoir financier. Sauver les entreprise­s pour sauver des millions d’emplois est indispensa­ble. Mais, dans un second temps, il faudra qu’il y ait des contrepart­ies. Exemple en France? L’Etat devra jouer le rôle de régulateur et demander à Renault ou à Air France de changer de logiciel. Les secteurs automobile et aéronautiq­ue doivent participer à la transforma­tion. Que veut-on? Une relance avec des moteurs thermiques rutilants ou favoriser des véhicules beaucoup plus sobres? Dans le secteur aérien, là où il y a une concurrenc­e tangible avec le rail, il faudra progressiv­ement fermer des lignes aériennes. Quand on a le choix, il faut choisir de ne pas prendre l’avion. S’en priver définitive­ment? C’est autre chose. On peut peut-être réserver cela à de beaux voyages. L’Europe doit investir sur les cargos à voile. Cela peut paraître utopique, mais il n’est plus acceptable de faire le tour du monde en 24 heures pour acheminer des produits dans notre assiette.

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NICOLAS HULOT

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