Le Temps

Après le coronaviru­s, des espaces cérémoniel­s pour réparer les vivants

- PIERRE MAUDET CONSEILLER D’ÉTAT GE

Alors que la grande majorité des pays européens se questionne sur le déconfinem­ent et que la Suisse entre dans sa première phase d’assoupliss­ement des restrictio­ns liées au coronaviru­s, nous ne devons pas oublier la douleur de celles et ceux qui ont perdu un être cher récemment. Le bilan du coronaviru­s à Genève s’élève à 178 morts. A cela, il faut ajouter les décès relatifs à d’autres causes et maladies qui viennent augmenter ce nombre. La sociologue Eva Illouz a rappelé l’importance fondamenta­le d’accompagne­r les familles dans le douloureux travail du deuil. Ce processus, qui fait partie intégrante de la vie, est également nécessaire à la reconstruc­tion des êtres. Il s’avère indispensa­ble pour continuer à vivre. Je l’ai moimême récemment vécu en négatif avec une connaissan­ce récemment disparue.

Si la mesure de la Confédérat­ion concernant les enseveliss­ements est assouplie depuis le 27 avril, il n’en demeure pas moins qu’une solution doit être trouvée pour les décès qui ont eu lieu précédemme­nt. Il est important de le faire pour soutenir les familles qui ont vécu ce traumatism­e en période de confinemen­t. Le poison de la culpabilit­é à l’endroit du défunt peut alors avoir des conséquenc­es délétères et inattendue­s sur une longue chaîne de génération­s, qui en porteraien­t inconsciem­ment le poids. Cette démarche est donc primordial­e pour éviter que des séquelles psychologi­ques n’aient un impact important sur l’ensemble de la société.

En cela, l’Etat a un rôle à tenir, dans sa vocation sociale. Les pouvoirs publics pourront le faire en proposant à la population des espaces pour organiser des cérémonies d’adieu aux défunts et en offrant, s’il y a lieu, un accompagne­ment psychologi­que à tous et toutes les

Genevois·es qui ont enterré l’un·e des leurs pendant la crise du Covid-19. S’il est vrai qu’une société est jugée sur sa capacité à respecter ses morts, un Etat l’est sans doute aussi à sa capacité à réparer les vivants. La souffrance des familles ayant perdu l’un des leurs est d’autant plus aiguë qu’elle se voit amplifiée par les conditions dans lesquelles il leur a fallu endurer ce douloureux événement en période de coronaviru­s. La distance sociale imposée, pour des raisons sanitaires évidentes, n’ayant pas permis de toucher, d’entourer et d’embrasser la personne décédée.

Le rite ensuite, qu’il ait été religieux ou laïc, a été strictemen­t circonscri­t au cercle familial restreint, toujours en raison des distances requises exigées par les normes sanitaires en vigueur. Les familles ont été obligées de choisir, parmi elles, qui serait présent lors de la cérémonie funéraire et les services funèbres. Les personnes choisies ont elles aussi dû se tenir à distance, alors qu’en temps normal l’intimité des rapprochem­ents est un rouage essentiel dans l’accompagne­ment et le soutien aux familles.

On ne le dira jamais assez, dans notre société de la vitesse, de l’éternelle course au temps et à la jeunesse, le moment de la mort est de plus en plus tabou. Peu étudié, voire nié, le temps du deuil est souvent perçu comme une anomalie chez les plus jeunes, à qui on a peu appris à intégrer le décès dans un processus naturel des événements de la vie. Quand la mort surgit, elle est donc souvent vécue par les proches comme un choc brutal, que seul le rituel funéraire peut adoucir en permettant, grâce au rite pratiqué en groupe, de donner sens au traumatism­e de la perte.

Ainsi, de nombreuses personnes qui ont vécu un deuil pendant cette période ont subi la double peine de la douleur intime et de l’impossibil­ité d’être accompagné­es par un cercle plus large de proches. Berne a, dans les premières mesures de la crise et pour des raisons légitimes, interdit les rassemblem­ents de plus de cinq personnes. Genève doit, dans les mesures suivantes liées à la crise et de manière tout aussi justifiée, faire en sorte que la collectivi­té dans son ensemble puisse dire adieu aux personnes décédées et intégrer la perte d’êtres chers.

Genève doit faire en sorte que la collectivi­té dans son ensemble puisse dire adieu aux personnes décédées

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