«The Last Dance»: le Michael Jordan que je connais
En juillet 1997, nous avions complété le déménagement de nos bureaux de NBA Europe de Genève, en face de Balexert, à la rue de la Boétie, Paris VIIIe. Notre équipe de collaborateurs était bien installée en Suisse depuis 1993 mais le temps était venu de se positionner dans la capitale française pour être plus efficace dans notre gestion quotidienne, notamment pour les événements majeurs.
Nous étions particulièrement concentrés sur le McDonald’s Championship, officieux Championnat du monde des clubs, qui devait avoir lieu en octobre à Bercy. Nous avions déjà organisé la venue des Phoenix Suns à Munich (1993) et celle des Houston Rockets à Londres (1995). Mais là, ça allait être du jamais vu: les Chicago Bulls et leur star planétaire, Michael Jordan. Lorsqu’ils se déplaçaient, c’était comme un cirque ambulant ou une tournée de rock stars, attirant foules en délire et une couverture média jamais atteinte dans chaque ville visitée.
Les caméras étaient partout
Malgré l’immense popularité des Bulls durant les années 1990, nous avions planifié un gros calendrier promo afin de nourrir l’intérêt des médias, des fans et de tout l’univers basket. Généralement, la stratégie incluait la visite d’un joueur NBA dans la ville désignée quelques semaines avant l’événement afin de promouvoir la vente des billets et de soutenir les efforts des sponsors. Tout le monde voulait voir Michael Jordan mais il n’était pas disponible début septembre, aussi Scottie Pippen, son fidèle lieutenant sur les parquets, le seconda une fois encore avec brio lors de cette campagne marketing.
Après plus de dix mois de travail acharné pour notre groupe, les Chicago Bulls arrivaient à Paris le 15 octobre 1997. Et cette fois, Michael Jordan était présent. Il fut très accessible pour nos besoins commerciaux, et particulièrement enthousiaste à l’idée de passer quelques jours à Paris avec ses coéquipiers. Je crois que nous avions réussi à trouver le bon équilibre pour que tout le monde – les fans, les journalistes, les joueurs – profite de cette opération.
J’ai très vite réalisé combien cette visite à Paris avait une valeur historique. Une équipe de tournage de NBA Entertainment, la division production vidéo de la NBA, était d’ailleurs sur place pour capter tous les déplacements des Bulls et plus particulièrement ceux de Michael Jordan. Suite à une brillante idée du producteur Andy Thompson appuyée par Adam Silver (l’actuel commissaire de la NBA, alors directeur de NBA Entertainment), une petite unité avait reçu tous les accès pour suivre Jordan et les Bulls durant toute la saison 1997-1998. Elle produisit au total plus de 500 heures de tournage.
Ce sont ces images que l’on voit depuis le 19 avril 2020 dans The Last Dance, la docu-série de Netflix, coproduite avec la NBA, ESPN, Jumpman 23 et Mandalay Sports Media. Cela faisait 23 ans que j’attendais de voir le résultat de ce tournage qui avait débuté à Paris en octobre 1997. Je me souviens parfaitement d’une conversation avec David Stern, l’ancien patron de la NBA décédé le 1er janvier dernier, qui nous avait dit à l’époque qu’il s’agirait sûrement d’un documentaire de haute qualité disponible en salles. Sa diffusion, prévue pour les finales en juin, a été avancée de deux mois en raison de la pandémie mondiale et le succès a été tout aussi planétaire. The Last Dance est rapidement devenu le documentaire le plus regardé sur Terre.
Intransigeant, intimidant et dur
Après avoir vu et revu les six premiers épisodes, je reste autant fasciné par la légende des Bulls et de Michael Jordan que je l’étais lorsque je travaillais pour la NBA entre 1992 et 2000. La production est superbe et le scénario dramatique maîtrisé avec brio. Ce n’est pas un documentaire linéaire sur les Bulls ou sur la vie de Jordan mais plutôt une mise en scène équilibrée avec en toile de fond la saison 1997-1998 qui a mené au sixième titre pour Chicago et, sur ce canevas, un regard sur ces grands personnages que sont Michael Jordan, Scottie Pippen, Dennis Rodman ou le coach Phil Jackson. Autour, ce qu’il faut d’archives, de faits historiques saillants, d’entretiens avec d’anciens coéquipiers ou adversaires et d’observations de journalistes pour agrémenter le storytelling.
Pour avoir connu et côtoyé Michael Jordan, je vous assure qu’il ne laissait rien au hasard. Que ce soit en tant qu’athlète, businessman ou personnalité publique, il était intransigeant, intimidant et dur. Sa motivation comme joueur fut toujours fondée sur l’envie de gagner et de dominer ses adversaires. Il était à un niveau de rigueur suprême. Une toughness – ou dureté mentale – combinée au désespoir de gagner à tout prix. Il était sans pitié avec ses coéquipiers mais tellement efficace comme «influenceur» sur le court. Jordan fut l’athlète des athlètes. Une idole pour une génération complète de fans et de sportifs.
Il fut le plus grand représentant marketing de l’histoire du sport, et responsable du succès planétaire de Nike. Avec sa propre marque, «The Jordan Brand», et ses nombreux accords commerciaux, il est devenu le sportif le plus populaire et le plus riche du monde, sans jamais cesser d’être d’abord un compétiteur et le plus grand des champions sur le parquet NBA. ■