Netanyahou, un «grand artiste de la politique»
Après trois élections qui ne lui ont pas accordé de majorité, Benyamin Netanyahou est reconduit aujourd’hui à son poste, grâce à un tour de passe-passe dont lui seul a le secret. Après quatorze ans à la tête du gouvernement, comment a-t-il transformé la politique israélienne?
Pour ses partisans, qui le scandent à l’envi lors de ses meetings électoraux, il est «Bibi Melech Yisrael, Bibi roi d’Israël». Malgré ses mises en examen pour corruption et fraude, malgré les scandales, malgré les trahisons politiques, Benyamin Netanyahou, sans majorité à droite, reste au pouvoir. Le premier ministre le plus pérenne de l’histoire d’Israël prête serment aujourd’hui pour diriger un gouvernement d’union nationale. Il signe ainsi l’une de ses plus belles victoires: il a neutralisé le seul rival qui aurait pu le menacer, le centriste Benny Gantz.
Avec cette coalition, Netanyahou a aussi habilement recomposé la scène politique israélienne. Exit l’opposition de gauche, moribonde, dont une partie a rejoint le gouvernement; finie la rivalité avec le parti de centre droit Bleu-Blanc, qui a explosé après que Benny Gantz a accepté de partager le pouvoir avec Bibi. A droite, en dehors de son parti, le Likoud, qui lui obéit comme un seul homme, le chef du gouvernement garde ses soutiens religieux mais se débarrasse de Yamina, le parti qui tentait de le doubler sur son extrême droite.
Des loyautés personnelles
«Netanyahou a personnalisé la politique: il exige de ses partenaires de coalition qu’ils lui soient loyaux personnellement», souligne Anshel Pfeffer, journaliste du quotidien de gauche Haaretz et auteur de la biographie Bibi: The Turbulent Life and Times of Benyamin Netanyahou. «Cela crée une situation dans laquelle il est bien plus compliqué, que ce soit pour Yamina ou d’autres, d’exister sans lui. Idem au sein du Likoud: avant, certains ministres forts auraient pu constituer une alternative pour diriger le parti, aujourd’hui, ce n’est plus le cas.»
Si bien qu’aux yeux des Likudniks, ses supporters majoritairement séfarades, Bibi fait figure d’homme providentiel. Netanyahou a habilement su profiter de l’héritage de Menahem Begin, le premier dirigeant de droite en Israël, rappelle Ilan Greilsammer, professeur de sciences politiques à l’Université Bar-Ilan. «Begin avait très bien compris la colère du public séfarade contre les travaillistes» qui ont fondé le pays mais ont traité les juifs des pays arabes avec des méthodes «quelquefois à la limite du racisme», juge-t-il. «Netanyahou a continué dans cette direction», s’attachant un public à la loyauté indéfectible.
Attaques racistes contre les Arabes israéliens, les descendants de Palestiniens qui ont la nationalité israélienne, discrédit de la gauche, diatribes populistes contre les institutions… Netanyahou parle un langage qui plaît à son électorat. La droitisation du discours politique «est peut-être plus marquée avec lui, mais serait de toute manière prégnante» en Israël, nuance Anshel Pfeffer.
Ces discours pourtant laissent des traces. Après dix ans de gouvernements Netanyahou sans interruption, «la Knesset, le parlement israélien, est très affaiblie. La Cour suprême est toujours indépendante, mais elle est bien plus prudente qu’avant, à cause de l’atmosphère générale que le premier ministre a créée dans le pays», remarque le journaliste.
«Pour ceux qui aiment Machiavel et «Le Prince», on est en plein dedans»
ILAN GREILSAMMER, PROFESSEUR
Après tant d’années au pouvoir, difficile de déterminer la ligne politique de Netanyahou. «Il est de droite, en terme israélien, mais ce n’est pas un idéologue comme les sionistes religieux», renchérit Ilan Greilsammer qui qualifie sa politique d’«opportuniste». Le premier ministre évoque souvent son père, Benzion Netanyahou, proche des idéologues qui défendaient l’idée d’un «Grand Israël», de la Méditerranée au Jourdain.
Face à Begin qui a signé la paix avec l’Egypte ou Ariel Sharon qui a entrepris le retrait israélien de Gaza, de Netanyahou, «il ne restera pas grand-chose dont on se souviendra», estime le chercheur. L’annexion d’une partie de la Cisjordanie occupée que le nouveau gouvernement voudrait mettre en oeuvre rapidement? «Je demande à voir», répond-il, sceptique.
Pour lui, Netanyahou ne doit sa longévité ni à ses idées ni à ses projets mais au fait qu’il est «un très grand artiste en politique. Il a une habileté, une ruse qu’on retrouve très rarement, même à l’échelon mondial. Pour ceux qui aiment Machiavel et Le Prince, on est en plein dedans. Il n’y a pas de morale derrière: c’est un type qui a fait des manoeuvres, des manipulations, s’est servi de ses lieutenants puis les a jetés aux chiens.»
Grâce à son cynisme, diront les uns, à sa magie, diront les autres, Netanyahou est aujourd’hui encore reconduit au pouvoir. Il est censé laisser la place, dans un an et demi, à Benny Gantz, son ancien rival. Mais en Israël, rares sont ceux qui pensent qu’en 2022 le pays ne sera plus gouverné par Bibi.
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