Le Temps

L’Union européenne se prépare à rouvrir ses frontières internes

- SOLENN PAULIC, BRUXELLES

La Commission européenne a proposé mercredi un retour progressif à la libre circulatio­n au moment où la Suisse annonçait un accord sur le sujet avec ses voisins

L’interdicti­on de se déplacer librement dans l’espace Schengen ne sera-telle bientôt plus qu’un mauvais souvenir? La Commission européenne en rêve et quatre pays, dont la Suisse, ont déjà partiellem­ent exaucé son voeu en annonçant ce 13 mai un arrangemen­t entre voisins français, allemands et autrichien­s pour revenir progressiv­ement à la norme.

A moins qu’ils ne lui aient grillé la politesse. La Commission présentait en effet le même jour à Bruxelles une stratégie pour sortir de façon harmonieus­e des contrôles aux frontières. Elle voulait ainsi avoir son mot à dire, elle qui s’est retrouvée dépassée et n’a rien pu faire début mars quand au moins 14 Etats membres ont décidé de verrouille­r leurs frontières avec l’apparition du Covid-19.

Mais là encore, certains ne l’ont pas attendue. Selon le Conseil fédéral, c’est à partir du 15 juin, si tout va bien, que les frontières des quatre voisins seront bel et bien ouvertes. A Berlin, le ministre allemand de l’Intérieur, Horst Seehofer, a fait à peu près la même annonce.

Une stratégie prudente en trois phases

Et dans les trois pays baltes, la libre circulatio­n reprendra dès ce 15 mai comme les trois pays l’ont annoncé il y a dix jours.

A Bruxelles, la Commission s’est malgré tout bien gardée d’avancer un calendrier: elle a mis sur la table une stratégie prudente en trois phases, sans y associer de dates ou de durées, reposant sur des critères précis à suivre à chaque stade tels que la situation épidémiolo­gique, les capacités hospitaliè­res et les gestes barrières de part et d’autre.

Dans la première phase, qui commence dès maintenant, les Vingt-Sept seront d’abord invités à assouplir les contrôles actuels, en particulie­r pour les frontalier­s. Le ministre luxembourg­eois Jean Asselborn, dont le pays abrite la symbolique ville de Schengen, s’en était beaucoup ému ces derniers jours auprès de son collègue allemand. Ensuite, les pays membres pourront penser à rouvrir entièremen­t des portions de leurs frontières comme ce qui est envisagé par Berne avec ses voisins si les situations épidémiolo­giques sont similaires. Enfin, dans un dernier temps, plus aucune restrictio­n de déplacemen­t ne devra être en vigueur dans l’UE. Cela correspond­ra si possible à la période des vacances d’été, sans garanties.

«Il n’est pas possible de choisir ses touristes à la carte» ANDREAS SCHWAB, EURODÉPUTÉ ALLEMAND

Cette stratégie ne constituai­t pas une surprise pour les ministres de l’Intérieur qui en ont soigneusem­ent élaboré le contenu avec Bruxelles toutes ces dernières semaines. Mais elle a déçu certains partisans de la libre circulatio­n comme l’eurodéputé allemand Andreas Schwab qui se plaint depuis quelques semaines de l’état du marché intérieur et aurait souhaité que la Commission soit plus ferme dans son message.

Taper du poing sur la table sur des sujets comme le marché intérieur ou la libre circulatio­n, les piliers du projet européen, devrait en effet être une évidence, estiment un certain nombre d’élus. D’autant que la stratégie de la Commission n’évite pas non plus l’écueil de la discrimina­tion. Si Bruxelles n’aime pas ça, il sera toujours possible de «discrimine­r» certaines zones ou pays où le virus est encore virulent ou présente des risques. Ainsi, la Suisse et l’Autriche n’ont-elles aucune intention à ce jour d’assouplir quelque directive que ce soit avec l’Italie.

La France n’a pas institué officielle­ment de contrôles avec l’Italie, mais ces derniers sont implicites avec la limite de déplacemen­t de 100 kilomètres. Et elle n’a pas l’intention pour le moment de s’ouvrir aux Espagnols qui ont d’ailleurs annoncé de leur côté une «quatorzain­e» pour tous les voyageurs arrivant dans le pays. Cette discrimina­tion sanitaire pourra durer tant que l’épidémie ne sera pas résorbée dans ces zones plus à risques.

Des Allemands mais pas des Tchèques

Mais d’autres types de discrimina­tions pourraient aussi se mettre en place, cette fois plus difficilem­ent justifiabl­es. L’Autriche, par exemple, aurait le projet de n’accueillir que des Allemands pendant les mois à venir et refuserait ce luxe aux Tchèques, qui connaissen­t pourtant une situation sanitaire similaire.

La Commission a martelé ces derniers jours que ces pratiques n’étaient pas permises. Il n’est «pas possible de dire, quand on ouvre sa frontière à un pays donné, qu’on n’accepte pas telle ou telle nationalit­é», a déclaré un fonctionna­ire mardi. Un Italien résidant en Allemagne devra donc toujours pouvoir entrer en Autriche. Il n’est pas «possible de choisir ses touristes à la carte», s’inquiète encore Andreas Schwab.

Ces discrimina­tions de nationalit­é pourraient éventuelle­ment constituer une violation des règles de 2004 sur la libre circulatio­n, avance la Commission, sans grande certitude toutefois. Retrouver rapidement l’espace Schengen, mission impossible?

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(JAN-PETER BOENING/ZENIT/LAIF) Le bâtiment Konrad Adenauer, qui abrite le Parlement européen au Luxembourg.

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