Montcornet, 17 mai 1940: les leçons d’une défaite française
Montcornet, 17 mai 1940. En ces temps d’interminables débats sur l’avenir de la France bousculée par l’épidémie de Covid-19, le lieu dit à la fois la force de la volonté, les changements survenus en près d’un siècle et les conditions requises pour redresser la barre d’un navire national naufragé.
L’affaire, en ce jour du printemps de la débâcle, est entendue en quelques heures. Le colonel Charles de Gaulle, commandant la quatrième division cuirassée française, a choisi d’engager le combat contre les tanks nazis de Guderian. Cinq mille soldats français ont été rassemblés, de la Normandie aux Vosges, appelés à la rescousse pour empêcher que la trouée des Ardennes ne se solde par un déferlement éclair en direction de Paris. Le 4e cuirassé a, pour fer de lance, 85 chars R35 de Renault, rivaux mécaniques des Panzers I et II de la Wehrmacht. Leur armement et leur blindage sont capables d’encaisser le choc. Reste la faille, béante: l’absence de radios à bord pour se coordonner. Bilan? Une défaite et 25 chars français détruits, contre aucune perte matérielle allemande…
C’est cette localité de l’Aisne, à la fois symbole de la volonté gaullienne et d’impuissance française, qu’Emmanuel Macron a choisie pour lancer ce dimanche, 80 ans plus tard, les célébrations du 50e anniversaire de la mort du Général de Gaulle, le 9 novembre 1970. A charge, pour ses conseillers responsables de la communication et de l’histoire, Bruno Roger-Petit et Joseph
Zimet, de savoir trier le bon grain de l’ivraie pour que le président ne trébuche pas sur la faille historique, alors que le déconfinement et ses approximations renchérissent l’acte d’accusation contre le gouvernement, face au Covid-19.
Célébrer la mémoire du Général de Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises (Haute-Marne) où repose le connétable à l’ombre de sa croix de Lorraine aurait été logique, mais sans surprise. Lui rendre hommage à Paris, où son discours du 25 août 1944 signifia pour des millions de Français la joie de la libération, aurait entretenu la confusion et ravivé d’autres polémiques, vu la sourde bataille que se livrèrent alors gaullistes et communistes. Montcornet est le choix du combat d’abord perdu puis remporté. Une courageuse défaite française suivie, quatre ans plus tard, par l’immense triomphe allié – à l’Ouest comme à l’Est – sur un Reich transformé en champ de ruines.
Tirons donc un peu sur ce fil historique, en ces temps de lutte prolongée et mondiale contre la pandémie de Covid-19. Premier parallèle: la France qui ne cède pas à Montcornet, malgré l’air de débâcle ambiant… et la défaite qui s’annonce à court terme. Emmanuel Macron a là du grain à moudre: lui, le président aujourd’hui sur la défensive mais qui, demain, peut encore prétendre l’emporter. Seconde comparaison: la fracture générationnelle. Le 17 mai 1940, Charles de Gaulle, né le 22 novembre 1890, n’a pas 50 ans. Les généraux en chef sont tous bien plus âgés (68 ans pour Gamelin, 63 pour Weygand et… 84 ans pour le maréchal Pétain). Montcornet est le signe de la relève au sein d’une armée écroulée. Troisième rapprochement: le changement de théâtre des opérations. Montcornet signe la fin de la bataille de France, qui s’achèvera le 22 juin par l’acte de reddition, signé à Rethondes (Oise). Un mois plus tard, le 17 juin, de Gaulle s’envole pour Londres. D’où il lance, le lendemain, son fameux appel: «Cette guerre n’est pas tranchée. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances n’empêchent pas qu’il y a, dans l’univers, tous les moyens pour écraser un jour nos ennemis…»
Montcornet, choix réaliste d’un chef de l’Etat quadragénaire féru d’histoire. S’y rendre, en ce mois de mai 2020, prend presque la forme d’un aveu. Oui, la France, confrontée à la pénurie de masques et de tests de dépistage, a failli perdre la bataille sanitaire. Oui, la France, ligotée par une administration percluse de rhumatismes bureaucratiques, a laissé ses soignants seuls au feu, face à un redoutable ennemi. Oui, la France, malgré son système de santé présumé «le meilleur du monde», n’a pas empêché que le virus progresse, bousculant toutes les certitudes. Montcornet, contre-offensive française à la fois synonyme d’humilité, de résilience et d’héroïsme: la nouvelle partition macronienne est en train de s’écrire. ▅