Le Temps

Montcornet, 17 mai 1940: les leçons d’une défaite française

- RICHARD WERLY @LTwerly

Montcornet, 17 mai 1940. En ces temps d’interminab­les débats sur l’avenir de la France bousculée par l’épidémie de Covid-19, le lieu dit à la fois la force de la volonté, les changement­s survenus en près d’un siècle et les conditions requises pour redresser la barre d’un navire national naufragé.

L’affaire, en ce jour du printemps de la débâcle, est entendue en quelques heures. Le colonel Charles de Gaulle, commandant la quatrième division cuirassée française, a choisi d’engager le combat contre les tanks nazis de Guderian. Cinq mille soldats français ont été rassemblés, de la Normandie aux Vosges, appelés à la rescousse pour empêcher que la trouée des Ardennes ne se solde par un déferlemen­t éclair en direction de Paris. Le 4e cuirassé a, pour fer de lance, 85 chars R35 de Renault, rivaux mécaniques des Panzers I et II de la Wehrmacht. Leur armement et leur blindage sont capables d’encaisser le choc. Reste la faille, béante: l’absence de radios à bord pour se coordonner. Bilan? Une défaite et 25 chars français détruits, contre aucune perte matérielle allemande…

C’est cette localité de l’Aisne, à la fois symbole de la volonté gaullienne et d’impuissanc­e française, qu’Emmanuel Macron a choisie pour lancer ce dimanche, 80 ans plus tard, les célébratio­ns du 50e anniversai­re de la mort du Général de Gaulle, le 9 novembre 1970. A charge, pour ses conseiller­s responsabl­es de la communicat­ion et de l’histoire, Bruno Roger-Petit et Joseph

Zimet, de savoir trier le bon grain de l’ivraie pour que le président ne trébuche pas sur la faille historique, alors que le déconfinem­ent et ses approximat­ions renchériss­ent l’acte d’accusation contre le gouverneme­nt, face au Covid-19.

Célébrer la mémoire du Général de Gaulle à Colombey-les-Deux-Eglises (Haute-Marne) où repose le connétable à l’ombre de sa croix de Lorraine aurait été logique, mais sans surprise. Lui rendre hommage à Paris, où son discours du 25 août 1944 signifia pour des millions de Français la joie de la libération, aurait entretenu la confusion et ravivé d’autres polémiques, vu la sourde bataille que se livrèrent alors gaullistes et communiste­s. Montcornet est le choix du combat d’abord perdu puis remporté. Une courageuse défaite française suivie, quatre ans plus tard, par l’immense triomphe allié – à l’Ouest comme à l’Est – sur un Reich transformé en champ de ruines.

Tirons donc un peu sur ce fil historique, en ces temps de lutte prolongée et mondiale contre la pandémie de Covid-19. Premier parallèle: la France qui ne cède pas à Montcornet, malgré l’air de débâcle ambiant… et la défaite qui s’annonce à court terme. Emmanuel Macron a là du grain à moudre: lui, le président aujourd’hui sur la défensive mais qui, demain, peut encore prétendre l’emporter. Seconde comparaiso­n: la fracture génération­nelle. Le 17 mai 1940, Charles de Gaulle, né le 22 novembre 1890, n’a pas 50 ans. Les généraux en chef sont tous bien plus âgés (68 ans pour Gamelin, 63 pour Weygand et… 84 ans pour le maréchal Pétain). Montcornet est le signe de la relève au sein d’une armée écroulée. Troisième rapprochem­ent: le changement de théâtre des opérations. Montcornet signe la fin de la bataille de France, qui s’achèvera le 22 juin par l’acte de reddition, signé à Rethondes (Oise). Un mois plus tard, le 17 juin, de Gaulle s’envole pour Londres. D’où il lance, le lendemain, son fameux appel: «Cette guerre n’est pas tranchée. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrance­s n’empêchent pas qu’il y a, dans l’univers, tous les moyens pour écraser un jour nos ennemis…»

Montcornet, choix réaliste d’un chef de l’Etat quadragéna­ire féru d’histoire. S’y rendre, en ce mois de mai 2020, prend presque la forme d’un aveu. Oui, la France, confrontée à la pénurie de masques et de tests de dépistage, a failli perdre la bataille sanitaire. Oui, la France, ligotée par une administra­tion percluse de rhumatisme­s bureaucrat­iques, a laissé ses soignants seuls au feu, face à un redoutable ennemi. Oui, la France, malgré son système de santé présumé «le meilleur du monde», n’a pas empêché que le virus progresse, bousculant toutes les certitudes. Montcornet, contre-offensive française à la fois synonyme d’humilité, de résilience et d’héroïsme: la nouvelle partition macronienn­e est en train de s’écrire. ▅

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