Le marché de la livraison en ébullition
Aux Etats-Unis, Uber Eats serait sur le point de s’emparer de sa rivale GrubHub pour contrôler le marché de la livraison de plats. En Suisse, la multinationale californienne se heurte notamment à la résistance de Smood
La bataille mondiale pour le contrôle du marché de livraison de plats s'intensifie. Seul acteur de taille planétaire, Uber Eats serait sur le point de s'emparer de sa concurrente GrubHub, pour devenir numéro un du marché américain. En parallèle, la multinationale californienne joue une partie de Monopoly en se retirant de marchés où elle s'estime vaincue.
Ces mouvements se déroulent sur fond de pandémie, qui fait bondir la demande pour la livraison de plats. Lors du premier trimestre, Uber Eats a ainsi vu son chiffre d'affaires mondial bondir de 53% à 819 millions de dollars. Cette hausse des commandes n'a pas permis à cette filiale d'Uber d'être rentable, bien au contraire: sa perte a même augmenté de 1% en comparaison annuelle, à 313 millions de dollars. Confrontée à une concurrence plus intense, Uber Eats a multiplié les promotions pour tenter de fidéliser ses clients, tout en réduisant les frais imposés aux restaurants.
Objectif non atteint
C'est dans ce contexte que la multinationale serait en négociation pour s'emparer de sa concurrente GrubHub, selon le Wall Street Journal de mardi. Active aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, GrubHub détenait en mars 28% du marché américain de la livraison de plats, Uber 20% et DoorDash 42%, selon la société de recherche Second Measure. Si Uber Eats devait s'emparer de sa proie, elle serait ainsi numéro un aux EtatsUnis, son but avoué: depuis plusieurs années, la direction de la multinationale ne cesse de répéter qu'elle veut être numéro un ou deux dans chaque pays où elle est présente. Uber Eats, basée à San Francisco, ne saurait se satisfaire de sa position actuelle sur son marché domestique.
La société n'hésite ainsi pas à sortir de certains marchés. Sa filiale Eats s'est retirée du marché indien en début d'année. Et ce n'est pas terminé: dès juin, elle ne sera plus active en République tchèque, en Egypte, au Honduras, en Roumanie, en Arabie saoudite, en Ukraine et en Uruguay. Ces sept pays représentent 1% des réservations Uber Eats et 4% de ses pertes. La société serait actuellement active dans environ 400 villes d'une quarantaine de pays et aurait des accords avec environ 100000 restaurants. Le nombre de livreurs n'est pas connu.
Expansion à Neuchâtel
En Suisse, Uber Eats est dans une phase d'expansion. Lundi, elle commençait ses activités à Neuchâtel, qui devenait la douzième ville du pays où elle est présente, après une arrivée à Genève en novembre 2018. La société ne donne pas de chiffre sur le marché helvétique, se contentant de relever une hausse de 47% du nombre de nouveaux restaurants partenaires entre janvier et avril – ils sont désormais 1300. La firme américaine affirme avoir effectué des gestes envers les restaurants, en les rémunérant de manière quotidienne (et non plus une fois par semaine) et en cessant temporairement d'exiger des frais d'activation. En moyenne, les plateformes de livraison prélèvent une commission pouvant aller jusqu'à 30% du prix de la commande. Aux Etats-Unis, craignant que les restaurants soient asphyxiés par ces commissions, plusieurs villes – dont a priori New York dès ce mercredi – imposent une limite à 15%.
Concurrente principale d'Uber Eats en Suisse romande, voire en Suisse – il n'existe aucune estimation des parts de marché –, Smood, basée à Genève, n'est plus rentable. «Nous le sommes habituellement, mais vu les mesures prises, notamment pour aider les restaurants, nous ne le sommes pas durant cette période spéciale», affirme Marc Aeschlimann,
directeur de la société. Smood a pris des mesures depuis le début de la pandémie. «Nous avons offert les frais de livraison afin de stimuler le nombre de commandes qui a triplé malgré une offre réduite de restaurants, beaucoup étant temporairement fermés. Les conséquences financières sont fortes, mais c'était un mal nécessaire pour soutenir la restauration», poursuit le directeur.
«Nous avons offert les frais de livraison afin de stimuler le nombre de commandes, qui a triplé malgré une offre réduite de restaurants»
MARC AESCHLIMANN, DIRECTEUR DE SMOOD
A Genève, Smood possède un partenariat avec Migros, dont elle livre les produits à domicile. «Depuis le début de la crise, nous comptons quatre fois plus de clients à ce service et dix fois plus de commandes», se réjouit Marc Aeschlimann. Pour lui, exclu de se vendre à Uber Eats, si celle-ci devait le demander: «Nous avons trouvé en Migros un partenaire de taille qui correspond à nos valeurs.» Smood livre dans 16 villes, dont tout récemment Yverdon, et y ajoutera Lugano le 20 mai.
Des concurrents pourraient-ils apparaître ou disparaître? «L'arrivée d'un nouvel acteur local demanderait un effort considérable pour se développer durablement sur ce marché, même si les opportunités de croissance restent nombreuses. Si tel était le cas, ce devra être l'innovation qui lui permettra de percer», avance Marc Aeschlimann.
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